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127. — DE Mme De SE VIGNE À Mme DE GRIGNAN.

À Paris, vendredi 12 juillet 1675.

C’est une des plus belles chasses qu’il est possible de voir, que celle que nous faisons après M. de B... et M. de M... Ils courent, ils se relaissent, ils se forlougent, ils rusent ; mais nous sommes toujours sur la voie, nous avons le nez bon, et nous les poursuivons toujours : si jamais nous les attrapons, comme je l’espère, je vous assure qu’ils seront bien bourrés ; et puis je vous promets encore que, suivant le procédé noble des lévriers, nous les laisserons là pour jamais, et n’y toucherons pas. Je vous manderai la fin de tout ceci : je ne pense pas à quitter cette affaire ; mais comme je vous empêche, sur l’amitié, d’être le plus grand capitaine du monde, l’abbé {de Coulanges) m’empêche d’être la personne la plus agitée et la plus occupée de vos affaires : il m’efface par son activité ; il est vrai qu’étant jointe à son habileté, il doit battre plus de pays que moi ; il le fait aussi, et dès sept heures du matin il sort pour consulter les mots, les points et les virgules de cette transaction. Au reste, il y a quelquefois des disputes avec mademoiselle de Méri ; mais savez-vous ce qui les cause ? c’est assurément l’exactitude de l’abbé, beaucoup plus que l’intérêt : mais quand l’arithmétique est offensée, et que la règle de deux et deux font quatre est blessée en quelque chose, le bon abbé est hors de lui ; c’est son humeur, il le faut prendre sur ce pied-là : d’un autre côté, mademoiselle de Méri a un style tout différent ; quand, par esprit ou par raison, elle soutient un parti, elle ne finit plus, elle le pousse ; l’abbé se sent suffoqué par un torrent de paroles ; il se met en colère, et en sort par faire l’oncle, et. dire qu’on se taise : on lui dit qu’il n’a point de politesse : politesse est un nouvel outrage, et tout est perdu ; on ne s’entend plus ; il n’est plus question de l’affaire ; ce sont les circonstances qui sont devenues le principal : en même temps je me mets en campagne, je vais à l’un, je vais à l’autre, comme le cuisinier de la comédie[1] ; je finis mieux, car on en rit, et, au bout du compte, que le lendemain mademoiselle de Méri retourne au bon abbé, et lui demande son avis ; bonnement il le lui donnera et la servira ; il a ses humeurs :

  1. Allusion à la scène de maître Jacques, cuisinier d’Harpagon, qui travaille à réconcilier celui-ci avec son fils, dans Y Avare de Molière, scène IV, acte IV.