Page:Sévigné - Lettres choisies, Didot, 1846.djvu/281

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ce qui se passe dans les familles, où nous trouverions de la haine, de la jalousie, de la rage, du mépris, au lieu de toutes les belles choses qu’on met au-dessus du panier, et qui passent pour des vérités ; je souhaitais un cabinet tout tapissé de dessous de cartes au lieu de tableaux. Cette folie nous mena bien loin, et nous divertit fort ; nous voulions casser la tête à d’Hacqueville pour en avoir, et nous trouvions plaisant d’imaginer que, de la plupart des choses que nous croyons voir, on nous détromperait : vous pensez donc que cela est ainsi dans une telle maison ; vous pensez que l’on s’adore en cet endroit-là ; tenez, voyez : on s’y hait jusqu’à la fureur, et ainsi de tout le reste : vous pensez que la cause d’un tel événement, c’est une telle chose ; c’est le contraire : en un mot, le petit démon qui nous tirerait les rideaux nous divertirait extrêmement. Vous voyez bien, ma très-belle, qu’il faut avoir bien du loisir pour s’amuser à vous dire de teiïes bagatelles ; voilà ce que c’est que de s’éveiller matin : voilà comme fait M. de Marseille ; j’aurais fait aujourd’hui des visites aux flambeaux, si nous étions en hiver.

Vous avez donc toujours votre bise : ah ! ma fille, qu’elle est ennuyeuse ! nous avons chaud nous autres, il n’y a plus qu’en Provence où l’on ait froid. Je suis très-persuadée que notre châsse {de sainte Geneviève) a fait ce changement ; car, sans elle, nous apercevions comme vous que le procédé du soleil et des saisons était changé ; je crois que j’eusse trouvé, comme vous, que c’était la vraie raison qui nous avait précipité tous ces jours auxquels nous avions tant de regret : pour moi, mon enfant, j’en sentais une véritable tristesse comme j’ai senti toute la joie de passer les étés et les hivers avec vous ; mais quand on a le déplaisir de voir ce temps passé, et passé pour jamais, cela fait mourir : il faut mettre à la place de cette pensée l’espérance de se revoir.

J’attends un peu de frais pour me purger, et un peu de paix en Bretagne pour partir. Madame de Lavardin, madame de la Troche, M. d’Harouïs et moi, nous consultons notre voyage, et nous ne voulons pas nous aller jeter dans la fureur qui agite notre province ; elle augmente tous les jours : ces démons sont venus piller et brûler jusqu’auprès de Fougères ; c’est un peu trop près des Rochers. On a recommencé à piller un bureau à Rennes ; madame deChaulnes est à demi morte des menaces qu’on lui fait tous les jours ; on me dit hier qu’elle était arrêtée, et que même les plus sages l’ont retenue, et ont mandé à M. de Chaulnes, qui est au Fort-Louis, que si