Page:Sévigné - Lettres choisies, Didot, 1846.djvu/300

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de vous et de la France ! » M. le Prince ne répondit qu’en haussant les épaules.

Mon fils me mande que le prince d’Orange fait mine de vouloir assiéger le Quesnoy, et que si cela est, ils sont à la veille d’une action. M. de Luxembourg a bien envie de faire parler de lui ; il est bien heureux, car il a bien entretenu l’ombre de M. le Prince : enfin on tremble de tous côtés. J’ai demandé à M. de Louvois le régiment de Sanzei à pur et à plein, avec la permission de vendre le guidon, bien entendu que le pauvre Sanzei serait mort, dont on n’a encore aucune nouvelle. Le vicomte de Marsilly est mon résident auprès du ministre, et s’est chargé de m’apprendre la réponse ; je voudrais qu’elle fût apportée par M. de Sanzei. Vous croyez bien que si madame de Sanzei y pouvait avoir la moindre prétention, je ne l’aurais pas barrée, moi qui respecte Saint-Hérem pour le régiment Royal ; mais le roi, qui avait donné ce petit régiment à Sanzei, le donnera à quelque autre. Pour celui de Picardie, il n’y faut pas penser, à moins que de vou • loir être abîmé dans deux ans ; mais c’est mal dit abîmé, c’est déshonoré-, car comme il n’est plus permis de se ruiner ni d’emprunter, comme autrefois, on demeure tout court, avec infamie. Ce second Chénoise, neveu de Saint-Hérem, est ressuscité depuis deux jours ; il était prisonnier des Allemands ; c’est là où nous devrions trouver M. de Sanzei. Pour le pauvre petit Froulai, il a fallu remuer et retourner, et regarder quinze cents hommes morts en un endroit du combat, pour trouver ce pauvre garçon, qu’on a enfin reconnu, percé de dix ou douze coups : sa pauvre mère demande sa charge de grand maréchal des logis (de la maison du roi), qu’elle a achetée ; elle crie et pleure, et ne parle qu’à genoux : on lui répond qu’on verra ; et vingt-deux ou vingt-trois personnes demandent cette charge. Pour dire le vrai, on reconnaît tous les jours que jamais unedéfaite n’a été si remplie de désordre et de confusion, que celle du maréchal de Créqui. Je vis samedi la maréchale chez M. de Pomponne, elle n’est pas reconnaissable ; les yeux ne lui sèchent pas.

Ne croyez pas, ma fille, que la mort de M. de Turenne ait passé ici aussi vite que les autres nouvelles ; on en parle et on le pleure encore tous les jours :

Tout en fait souvenir, el rien ne lui ressemble. Ou peut dire ce vers pour lui. Heureux ceux, comme vous dites,