Page:Sévigné - Lettres choisies, Didot, 1846.djvu/303

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clameurs : mais à Langres ils se sont surpassés ; ils allèrent au-devant de lui en habits de deuil au nombre de plus de deux cents, suivis du peuple ; tout le clergé en cérémonie ; il y eut un service solennel dans la ville, et en un moment ils se cotisèrent tous pour cette dépense, qui monta à cinq mille francs, parce qu’ils reconduisirent le corps jusqu’à la première ville, et voulurent défrayer tout le train. Que dites-vous de ces marques naturelles d’une affection fondée sur un mérite extraordinaire ? Il arrive à Saint-Denis ce soir ou demain ; tous ses gens l’allaient reprendre à deux lieues d’ici ; il sera dans une chapelle en dépôt, on lui fera un service à Saint- Denis, en attendant celui de Notre-Dame, qui sera solennel. Voilà quel fut le divertissement que nous eûmes. Nous dînâmes comme vous pouvez penser, et jusqu’à quatre heures nous ne fîmes que soupirer. Le cardinal de Bouillon paria de vous, et répondit que vous n’auriez point évité cette triste partie si vous aviez été ici : je l’assurai fort de votre douleur ; il vous fera réponse et à M. de Grignan ; il me pria de vous dire mille amitiés, et la bonne d’Elbeuf, qui perd tout, aussi bien que son fils. Voilà une belle chose de m’ être embarquée à vous conter ce que vous saviez déjà ; mais ces originaux m’ont frappée, et j’ai été bien aise de vous faire voir que voilà comme on oublie M. de ïurenne en ce pays-ci.

M. de la Garde me dit l’autre jour que, dans l’enthousiasme des merveilles que l’on disait du chevalier, il exhorta ses frères[1] à faire un effort pour lui dans cette occasion, afin de soutenir sa fortune, au moins le reste de cette année ; et qu’il les trouva tous deux fort disposés à faire des choses extraordinaires. Ce bon la Garde est à Fontainebleau, d’où il doit revenir dans trois jours pour partir enfin, car il en meurt d’envie, à ce qu’il dit ; mais les courtisans ont bien de la glu autour d’eux. Vraiment l’état de madame de Sanzei est déplorable ; nous ne savons rien de son mari ; il n’est ni vivant, ni mort, ni blessé, ni prisonnier ; ses gens n’écrivent point. M. de la Trousse, après avoir mandé le jour de l’affaire qu’on venait de lui dire qu’il avait été tué, n’en a plus écrit un mot ni à la pauvre Sanzei, ni à Coulanges[2]. Nous ne savons donc que mander à cette femme désolée ; il est cruel de la laisser dans cet état : pour moi, je suis très-persuadée que son mari est mort ; la

  1. M. le coadjuteur d’Arles et M. l’abbé de Grignan.
  2. Madame de Sanzei était sœur de M. de Coulantes, et. M de la Trousse était leur cousin germain.