Page:Sévigné - Lettres choisies, Didot, 1846.djvu/311

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que je suis persuadée que vous serez bien aise de savoir des nouvelles de mon voyage ; et, comme on m’a dit que la poste va passer à Ingrande, je vais y laisser cette lettre chemin faisant. Je me porte très-bien, il ne me faudrait qu’un peu de causerie. Je vous écrirai de Nantes, comme vous pouvez penser. Je suis impatiente de savoir de vos nouvelles, et de l’armée de M. de Luxembourg ; cela me tient fort au cœur ; il y a neuf jours que j’ai ma tête dans ce sac. L’histoire des Croisades est très-belle, surtout pour ceux qui ont lu le Tasse, et qui revoient leurs vieux amis en prose et en histoire ; mais je suis servante du style du jésuite. La vie d’Origène est divine. Adieu, ma très-chère, très-aimable, et très-parfaitement aimée ; vous êtes ma chère enfant.


142. — DE Mme DE SÉVIGNÉ À Mme DE GRIGNAN.

Aux Hochers, dimanche 29 septembre 1675.

Je vous ai écrit, ma fille, de tous les lieux où je l’ai pu ; et comme je n’ai pas eu un soin si exact pour notre cher d’Hacqueville, ni pour mes autres amis, ils ont été dans des peines de moi, dont je leur suis trop obligée : ils ont fait l’honneur à la Loire de croire qu’elle m’avait abîmée : hélas, la pauvre créature ! je serais la première à qui elle eilt fait ce mauvais tour ; je n’ai eu d’incommodité que parce qu’il n’y avait pas assez d’eau dans cette rivière. D’Hacqueville me mande qu’il ne sait que vous dire de moi, et qu’il craint que son silence sur mon sujet ne vous inquiète. N’êtes-vous pas trop aimable, ma chère enfant, d’avoir bien voulu paraître assez tendre à mon égard pour qu’on vous épargne sur les moindres choses ? Vous m’avez si bien persuadée la première, que je n’ai eu d’attention qu’à vous écrire très-exactement. Je partis donc de la Silleraye le lendemain du jour que je vous écrivis, qui fut le mercredi ; M. deLavardin me mit en carrosse, et M. d’Harouïs m’accabla de provisions. Nous arrivâmes ici jeudi ; je trouvai d’abord mademoiselle du Plessis plus affreuse, plus folle et plus impertinente que jamais : son goût pour moi me déshonore ; je jure sur ce fer de n’y contribuer d’aucune douceur, d’aucune amitié, d’aucune approbation ; je lui dis des rudesses abominables, mais j’ai le malheur qu’elle tourne tout en raillerie : vous devez en être persuadée, après le soufflet dont l’histoire a pensé faire mourir Pomenars de rire. Elle est donc toujours autour de moi ; mais elle fait la grosse besogne ; je ne m’en incommode point ; la voilà qui me coupe des serviettes. J’ai trouvé ces bois d’une beauté et d’une