Page:Sévigné - Lettres choisies, Didot, 1846.djvu/313

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Impériaux ont repassé le Rhin, pour aller défendre l’empereur du Turc, qui le presse en Hongrie : voilà ce qui s’appelle des étoiles heureuses ; cela nous fait craindre en Bretagne de rudes punitions. Je m’en vais voir la bonne Tarente[1] ; elle m’a déjà envoyé deux compliments, et me demande toujours de vos nouvelles ; si elle le prend par là, elle me fera fort bien sa cour. Vous dites des merveilles sur Saint-Thou ; du moins on ne l’accusera pas de n’avoir conté son songe qu’après son malheur ; cela est plaisant. Je vous plains de ne pas lire toutes vos lettres : mais quoiqu’elles fassent toutes ma chère et unique consolation, et que j’en connaisse tout le prix, je suis bien fâchée d’en tant recevoir. Le bon abbé est fort en colère contre M. de Grignan ; il espérait qu’il lui manderait si le voyage de Jacob[2] a été heureux, s’il est arrivé à bon port dans la terre promise ; s’il y est bien placé, bien établi, lui et ses femmes, ses enfants, ses moutons, ses chameaux ; cela méritait bien un petit mot. Il a dessein de le reprendre quand il ira à Grignan. Comment se portent vos enfants ? Adieu, ma très-aimable et très-chére : je reçois fort souvent des lettres de mon fils ; il est bien affligé de ne pouvoir sortir de ce malheureux guidonnage ; mais il doit comprendre qu’il y a des gens présents et pressants qu’on a sur les bras, à qui on doit des récompenses, qu’on préférera toujours à un absent qu’on croit placé, et qui ne fait simplement que s’ennuyer dans une longue subalternité dont on ne se soucie guère. Ha, que c’est bien précisément ce que nous disions, après une longue navigation, se trouver à neuf cents lieues d’un cap, et le reste !


143. — DE Mme DE SÉVIGNÉ À Mme DE GRIGNAN.

Aux Rochers, dimanche 6 octobre 1675.

Vraiment, ma fille, vous me contez une histoire bien lamentable de vos pauvres lettres perdues ; est-ce Baro qui a fait cette sottise ? On est gaie, gaillarde, on croit avoir entretenu tous ses bons amis : pour M. l’archevêque, je le plains encore davantage, car il n’écrit que pour des choses importantes ; et il se trouve que toute la peine qu’on a prise, c’est pour être dans un bourbier, dans un précipice. Voilà M. de Grignan rebuté d’écrire pour le reste de sa vie : quelle aventure pour un paresseux ! vous verrez que désor

  1. La princesse de Tarente habitait Château-Madame., dans le faubourg de Vitré.
  2. C’était de petites figures de cire coloriée que l’abbé de Coulanges avait envoyés à M. de Grignan, pour orner un des cabinets de son château.