Page:Sévigné - Lettres choisies, Didot, 1846.djvu/345

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La fortune est jolie ; mais je ne lui pardonne point les rudesses qu’elle a pour nous tous.

M. de Corbinelli.

J’arrive, madame, et je veux soulager cette main tremblotante ; elle reprendra la plume quand il lui plaira : elle veut vous dire une folie de M. d’Armagnac. Il était question de la dispute des princes et des ducs pour la Cène ; voici comme le roi l’a réglé : immédiatement après les princes du sang, M. de Vermandois a passé, et puis toutes les dames, et puis M. de Vendôme et quelques ducs ; les autres ducs et les princes lorrains ayant eu la permission de s’en dispenser. Là-dessus, M. d’Armagnac ayant voulu reparler au roi sur cette disposition, le roi lui fit comprendre qu’il le voulait ainsi. M. d’Armagnac lui dit : Sire, le charbonnier est maître à sa maison. On a trouvé cela fort plaisant ; nous le trouvons aussi, et vous le trouverez comme nous.

Madame de Sêvigné.

Je n’aime point à avoir des secrétaires qui aient plus d’esprit que moi ; ils font les entendus ; je n’ose leur faire écrire toutes mes sottises ; la petite fille m’était bien meilleure. J’ai toujours dessein d’aller à Bourbon ; j’admire le plaisir qu’on prend à m’en détourner, sans savoir pourquoi, malgré l’avis de tous les médecins.

Je causais hier avec d’Hacqueville sur ce que vous me dites que vous viendrez m’y voir : je ne vous dis point si je le désire, ni combien je regrette ma vie ; je me plains douloureusement de la passer sans vous. Il semble qu’on en ait une autre, où l’on réserve de se voir et de jouir de sa tendresse ; et cependant c’est notre tout que notre présent, et nous le dissipons ; et l’on trouve la mort : je suis touchée de cette pensée. Vous jugez bien que je ne désire donc que d’être avec vous ; cependant nous trouvâmes qu’il fallait vous mander que vous prissiez un peu vos mesures chez vous. Si la dépense de ce voyage empêchait celui de cet hiver, je ne le voudrais pas, et j’aimerais mieux vous voir plus longtemps ; car je n’espère point d’aller à Grignan, quelque envie que j’en aie : le bon abbé n’y veut point aller, il a mille affaires ici, et craint le climat. Or, je n’ai pas trouvé, dans mon traité de l’ingratitude, qu’il me fut permis de le quitter dans l'âge où il est ; et comme je ne puis douter que cette séparation ne lui arrachât le cœur et l'âme, mes remords ne me donneraient aucun repos, s’il