Page:Sévigné - Lettres choisies, Didot, 1846.djvu/353

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Je suis persuadée que ce qui échauffe est plus sujet à ces sortes de revers que ce qui rafraîchit : il en faut toujours revenir là ; et afin que vous le sachiez, toutes mes sérosités viennent si droit de la chaleur de mes entrailles, qu’après que Vichy les aura consumées, on va me rafraîchir, plus que jamais, par des eaux, par des fruits, et par tous mes lavages que vous connaissez. Prenez ce régime plutôt que de vous brûler, et conservez votre santé d’une manière que ce ne soit point par là que vous puissiez être empêchée de venir me voir. Je vous demande cette conduite pour î’amour de votre vie, et pour que rien ne traverse la satisfaction de la mienne.

Je vais me coucher, ma fille, voilà ma petite compagnie qui vient de partir. Mesdames de Pomponne, de Vins, de Villars et de Saint-Géran ont été ici ; j’ai tout embrassé pour vous. Madame de Villars a fort ri de ce que vous lui mandez : j’ai un mot à lui dire ; cela ne se peut payer. Je pars demain à cinq heures ; je vous écrirai de tous les lieux où je passerai. Je vous embrasse de tout mon cœur : je suis fâchée que l’on ait profané cette façon de parler ; sans cela, elle serait digne d’expliquer de quelle façon je vous aime.


161. — DE Mme DE SÉVIGNÉ À Mme DE GRIGNAN.

À Vichy, mardi 19 mai 1676.

Je commence aujourd’hui à vous écrire ; ma lettre partira quand elle pourra ; je veux causer avec vous. J’arrivai ici hier au soir. Madame de Brissac avec le chanoine[1], madame de Saint-Hérem et deux ou trois autres me vinrent recevoir au bord de la jolie rivière d’Allier : je crois que si on y regardait bien, on y trouverait encore des bergers del’Astrée. M. de Saint-Hérem, M. de la Fayette, l’abbé Dorât, Planci, et d’autres encore, suivaient dans un second carrosse, ou à cheval. Je fus reçue avec une grande joie. Madame de Brissac me mena souper chez elle ; je crois avoir déjà vu que le chanoine en a jusque-là de la duchesse : vous voyez bien où je mets la main. Je me suis reposée aujourd’hui, et demain je commencerai à boire. M. de Saint-Hérem m’est venu prendre ce matin pour la messe, et pour dîner chez lui. Madame de Brissac y est venue, on a joué : pour moi, je ne saurais me fatiguer à mêler des cartes. Nous nous sommes promenés ce soir dans les plus beaux endroits du monde ; et à sept heures la poule mouillée vient manger son poulet, et causer un peu avec sa chère enfant : on vous en

  1. Madame de Longueval, chanoinesse.