Page:Sévigné - Lettres choisies, Didot, 1846.djvu/371

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devait lui donner la question ; et, voyant trois seaux d’eau, elle dit : « C’est assurément pour me noyer ; car, de la taille dont je « suis, on ne prétend pas que je boive tout cela. » Elle écouta son arrêt, dès le matin, sans frayeur et sans faiblesse ; et sur la fin elle fit recommencer, disant que ce tombereau l’avait frappée d’abord, et qu’elle en avait perdu l’attention pour le reste. Elle dit à son confesseur, par le chemin, de faire mettre le bourreau devant elle, afin, dit-elle, de ne point voir ce coquin de Desgrais qui m’a prise. Desgrais était à cheval devant le tombereau. Son confesseur la reprit de ce sentiment ; elle dit : « Ah ! mon Dieu ! je « vous en demande pardon ; qu’on me laisse donc cette étrange « vue. » Elle monta seule et nu-pieds sur l’échelle et sur l’échafaud, et fut un quart d’heure mirodée, rasée, dressée et redressée par le bourreau ; ce fut un grand murmure et une grande cruauté. Le lendemain on cherchait ses os, parce que le peuple croyait qu’elle était sainte. Elle avait, disait-elle, deux confesseurs ; l’un soutenait qu’il fallait tout avouer, et l’autre non ; elle riait de cette diversité, disant : « Je puis faire en conscience ce qu’il me plaira. » Il lui a plu de ne rien dire du tout. Penautier sortira un peu plus blanc que de la neige ; le public n’est point content, on dit que tout cela est trouble. Admirez le malheur ; cette créature a refusé d’apprendre ce qu’on voulait, et a dit ce qu’on ne demandait pas : par exemple, elle a dit que M. Fouquet avait envoyé Glaser, leur apothicaire empoisonneur, en Italie, pour avoir d’une herbe qui fait du poison : elle a entendu dire cette belle chose à Sainte-Croix. Voyez quel excès d’accablement, et quel prétexte pour achever ce pauvre infortuné. Tout cela est bien suspect. On ajoute encore bien des choses ; mais en voilà assez pour aujourd’hui.


173. — DE Mme DE SÉVIGNÉ À Mme DE GRIGNAN.

À Paris, mercredi 29 juillet 1676.

Voici un changement de scène qui vous paraîtra aussi agréable qu’à tout le monde. Je fus samedi à Versailles avec les Villars : voici comme cela va. Vous connaissez la toilette de la reine, la messe, le dîner ; mais il n’est plus besoin de se faire étouffer pendant que Leurs Majestés sont à table ; car à trois heures le roi, la reine, Monsieur, Madame, Mademoiselle, tout ce qu’il y a de princes et de princesses, madame de Montespan, toute sa suite, tous les courtisans, toutes les dames, enfin ce qui s’appelle la cour