Page:Sévigné - Lettres choisies, Didot, 1846.djvu/398

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gés ont, ce me semble, beaucoup de raison de l’être. Vous voulez me persuader la dureté de votre cœur, pour me rassurer sur la perte de votre petit ; je ne sais, mon enfant, où vous prenez cette dureté ; je ne la trouve que pour vous : mais pour moi, et pour tout ce que vous devez aimer, vous n’êtes que trop sensible ; c’est votre plus grand mal, vous en êtes dévorée et consumée. Eh ! ma chère, prenez sur nous, et donnez-le au soin de votre personne ; comptezvous pour quelque chose, et nous vous serons obligés de toutes les marques d’amitié que vous nous donnerez par ce côté-là ; vous ne sauriez rien faire pour moi qui me touche le cœur plus sensiblement. Je suis étonnée que le petit marquis et sa sœur n’aient point été fâchés du petit frère : cherchons un peu où ils auraient pris ce cœur tranquille ; ce n’est pas chez vous assurément.

Vous voyez bien que la longueur de cette lettre vient proprement de ce que j’abuse de la permission de causer à Livry, où je suis seule, et sans aucune affaire. Je devrais bien faire un compliment à M. de Grignan sur la mort de ce petit ; mais quand on songé que c’est un ange devant Dieu, le mot de douleur et d’affliction ne se peut prononcer : il faut que des chrétiens se réjouissent, s’ils ont le moindre principe de la religion qu’ils professent.


188. — DE Mme DE SÉVIGNÉ À Mme DE GRIGNAN.

À Livry, vendredi 16 juillet 1677.

J’arrivai hier au soir ici, ma très-chère : il y fait parfaitement beau ; j’y suis seule, et dans une paix, un silence, un loisir, dont je suis ravie. Ne voulez-vous pas bien que je me divertisse à causer un peu avec vous ? Songez que je n’ai nul commerce qu’avec vous ; quand j’ai écrit en Provence, j’ai tout écrit. Je ne crois pas en effet que vous eussiez la cruauté de nommer un commerce une lettre en huit jours à madame de Lavardin. Les lettres d’affaires ne sont ni fréquentes, ni longues. Mais vous, mon enfant, vous êtes en butte à dix ou douze personnes qui sont à peu près ces cœurs dont vous êtes uniquement adorée, et que je vous ai vue compter sur vos doigts. Us n’ont tous qu’une lettre à écrire, et il en faut douze pour y faire réponse ; voyez ce que c’est par semaine, et si vous n’êtes pas tuée, assassinée ; chacun en disant : Pour moi, je ne veux point de réponse, seulement trois lignes pour savoir comme elle se porte. Voilà le langage ; et de moi la première : enfin nous vous as* sommons ; mais c’est avec toute l’honnêteté et la politesse de