Page:Sévigné - Lettres choisies, Didot, 1846.djvu/400

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

berté. Corbinelli tranche plus hardiment que personne ; mais les plus sages se tirent d’affaire par un altitude*, ou par imposer silence, comme notre cardinal. Il y a le plus beau galimatias que j’aie encore vu au vingt-sixième article du dernier tome c\es Essais de morale y dans le Traité de tenter Dieu. Cela divertit fort ; et quand d’ailleurs on est soumise, que les mœurs n’en sont pas dérangées, et que ce n’est que pour- confondre les faux raisonnements, il n’y a pas grand mal ; car s’ils voulaient se taire, nous ne dirions rien ; mais de vouloir à toute force établir leurs maximes, nous traduire saint Augustin, de peur que nous ne l’ignorions, mettre au jour tout ce qu’il y a de plus sévère, et puis conclure, comme le père Bauni[1], de peur de perdre le droit de gronder ; il est vrai que cela impatiente, et pour moi, je sens que je fais comme Corbinelli. Je veux mourir si je n’aime mille fois mieux les jésuites, ils sont au moins tout d’une pièce, uniformes dans la doctrine et dans la morale. Nos frères disent bien et concluent mal ; ils ne sont point sincères ; me voilà dans Escobar. Ma fille, vous voyez bien que je me joue et que je me divertis.

J’ai laissé Beaulieu avec le copiste de M. de la Garde ; il ne quitte point mon original. Je n’ai eu cette complaisance pour M. de la Garde qu’avec des peines extrêmes ; vous verrez, vous verrez ce que c’est que ce barbouillage. Je souhaite que les derniers traits soient plus heureux ; mais hier c’était quelque chose d’horrible. Voilà ce qui s’appelle vouloir avoir une copie de ce beau portrait de madame deGrignan, et je suis barbare quand je le refuse. Oh bien ! je ne l’ai pas refusé ; mais je suis bien aise de ne jamais rencontrer une telle profanation du visage de ma fille. Ce peintre est un jeune homme de Tournay, à qui M. de la Garde donne trois louis par mois ; son dessein a été d’abord de lui faire peindre des paravents, et finalement c’est Mignard qu’il s’agit de copier. Il y a un peu du veau de Ppissy à la plupart de ces sortes de pensées-là : mais chut ! car j’aime très-fort celui dont je parle.

Je voudrais, ma fille, que vous eussiez un précepteur pour votre enfant ; c’est dommage de laisser son esprit inculto. Je ne sais s’il n’est pas encore trop jeune pour le laisser manger de tout ; il faut examiner si les enfants sont des charretiers, avant que de les

  1. Ce père est un des jésuites que Pascal a tournés en ridicule dans ses lettres provinciales.