Page:Sévigné - Lettres choisies, Didot, 1846.djvu/431

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que je croyais ménager ; et je me souviens que, deux ou trois fois, vous m’avez dit le soir des mots que je n’entendais point du tout alors. Ne retombez donc plus dans de pareilles injustices ; parlez, éclaircissez-vous, on ne devine pas ; ne faites point, comme disait le maréchal de Gramont, ne laissez point vivre ni rire des gens qui ont la gorge coupée, et qui ne le sentent pas. Il faut parler aux gens raisonnables, c’est par là qu’on s’entend ; et l’on se trouve toujours bien d’avoir de la sincérité : le temps vous persuadera peut-être de cette vérité. Je ne sais comme je me suis insensiblement engagée dans ce discours ; il est peut-être mal à propos.

Vous me dépeignez fort bien la vie du bateau ; vous avez couché dans votre lit : mais je crains que vous n’ayez pas si bien dormi que ceux qui étaient sur la paille. Je me réjouis avec le petit marquis du sot petit garçon qui était auprès de lui ; ce méchant exemple lui servira plus que toutes les leçons : on a fort envie, ce me semble, d’être le contraire de ce qui est si mauvais. Je n’ai point de nouvelles de votre frère ; que dites-vous de cet oubli ? Je ne doute point qu’il ne brillotte fort à nos états. Je fais tous vos adieux, et j’en avais déjà deviné une partie : je n’ai pas manqué d’écrire à madame de Vins, j’ai trouvé de la douceur à lui parler de vous : elle m’a écrit dans le même temps sur le même sujet, fort tendrement pour vous, et très-fâchée de ne vous avoir point dit adieu. Je lui ai mandé qu’elle était bien heureuse d’avoir épargné cette sorte de douleur. Quand nous nous reverrons, nous recommencerons nos plaintes. Je me suis repentie de ne vous avoir pas menée jusqu’à Melun en carrosse ; vous auriez épargné la fatigue d’être une nuit sans dormir. Quand je songe que c’est ainsi que vous vous êtes reposée des derniers jours de fatigue que vous avez eus ici, et que vous voilà à Lyon, où il me semble, ma fille, que vous parlez bien haut[1] ; et que tout cela vous achemine à la bise des Grignans, et que ce pauvre sang, déjà si subtil, est agité de cette sorte ; ma très-chère, il me faut un peu pardonner, si je crains et si je suis troublée pour votre santé. Tâchez d’apaiser et d’adoucir ce sang, qui doit être bien en colère de tout ce tourment : pour moi, je me porte très-bien, j’aurai soin de mon régime à la fin de cette lune ; ayons pitié l’une de l’autre en prenant soin de notre vie. Je vis hier mademoiselle de Méri, je la trouvai assez tranquille. Il y a toujours un peu de difficulté à l’entretenir ;

  1. Madame de Rochebonne, belle-sœur de madame de Grignan, était très-sourde. C’est chez cette dame que madame de Grignan descendait à Lyon.