Page:Sévigné - Lettres choisies, Didot, 1846.djvu/441

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que ceux que nous aimons n’en sentent le contre-coup ; je trouve qu’il y a une infinité de rencontres où nous les faisons souffrir, et où nous pourrions adoucir leurs peines si nous avions autant de vues et de pensées qu’on doit en avoir pour ce qui tient au cœur. Enfin, je ferais voir dans ce livre qu’il y a cent manières de témoigner son amitié sans la dire^ ou de dire par ses actions qu’on n’a point d’amitié, lorsque la bouche traîtreusement assure le contraire. Je ne parle pour nersonne, mais ce qui est écrit est écrit.

Mon fils me mMde des folies, et il me dit qu’il y a un lui qui m’adore, un autre lui qui m’étrangle, et qu’ils se battaient tous deux l’autre jour à outrance, dans le mail des Rochers. Je lui réponds que je voudrais que l’un eût tué l’autre, afin que je n’eusse pointtrois enfants ; que c’étaitce dernier qui me faisaittout le mal de la maternité, et que s’il pouvait l’étrangler lui-même, je serais trop contente des deux autres. J’admire la lettre de Pauline ; est-ce de son écriture ? Non ; mais pour son style, il est aisé à reconnaître : la jolie enfant ! Je voudrais bien que vous pussiez me l’envoyer dans une de vos lettres ; je ne serai consolée de ne la pas voir que par les nouveaux attachements qu’elle me donnerait : je m’en vais lui faire réponse. Je quitte ce lieu à regret : la campagne est encore belle : cette avenue et tout ce qui était désolé des chenilles, et qui a pris la liberté de repousser avec votre permission, est plus vert qu’au printemps dans les plus belles années. Les petites et les grandes palissades sont parées de ces belles nuances de l’automne dont les peintres font si bien leur profit. Les grands ormes sont un peu dépouillés, et l’on n’a point de regret à ces feuilles picotées : la campagne en gros est encore toute riante ; j’y passais mes journées seule avec des livres ; je ne m’ennuyais que comme je m’ennuierai partout, ne vous ayant plus. Je ne sais ce que je vais faire à Paris ; rien ne m’y attire, je n’y ai point de contenance ; j’y vais avec chagrin ; le bon abbé dit qu’il y a quelques affaires, et que tout est fini ici ; allons donc. Il est vrai que cette année a passé assez vite ; mais je suis fort de votre avis pour le mois de septembre ; il m’a semblé qu’il a duré six mois, tout des plus longs. Je vous manderai, en arrivant à Paris, des nouvelles de mademoiselle de Méri. Je n’eusse jamais pensé que cette madame de Charmes eût pu devenir sèche comme du bois : hélas ! quels changements ne fait point la mauvaise santé ! Je vous prie de faire de la vôtre le premier de vos devoirs : après celui-là, et M. de Grignan auquel vous avez fait céder