Page:Sévigné - Lettres choisies, Didot, 1846.djvu/467

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moins consoler. Je n’ai pas quitté cette pauvre amie tous ces jours-ci ; elle n’allait point faire la presse parmi cette famille ; en sorte qu’elle avait besoin qu’on eût pitié d’elle. Madame de Coulanges a très-bien fait aussi, et nous continuerons quelque temps encore aux dépens de notre rate, qui est toute pleine de tristesse. Voilà en quel temps sont arrivées vos jolies petites lettres, qui n’ont été admirées jusqu’ici que de madame de Coulanges et de moi : quand le chevalier sera de retour, il trouvera peut être un temps propre pour les donner ; en attendant, il faut en écrire une de douleur à M. de Marsillac ; il met en honneur toute la tendresse des enfants, et fait voir que vous n’êtes pas seule ; mais, en vérité, vous ne serez guère imités. Toute cette tristesse m’a réveillée ; elle me représenta l’horreur des séparations, et j’en ai le cœur serré.

Mercredi 20 mars.

Il est enfin mercredi. M. de la Rochefoucauld est toujours mort, et M. de Marsillac toujours affligé et si bien enfermé, qu’il ne semble pas qu’il songe à sortir de cette maison. La petite santé de madame de la Fayette soutient mal une pareille douleur ; elle en a la fièvre ; et il ne sera pas au pouvoir du temps de lui ôter l’ennui de cette privation. Sa vie est tournée d’une manière qu’elle le trouvera tous les jours à dire : vous devez m’écrire tout au moins quelque chose pour elle.

Je suis troublée de votre santé et du voyage que vous faites. Vous n’irez pas en Barbarie, mais il y aura bien de la barbarie si cette fatigue vous fait du mal. Il est vrai que de penser à ces deux bouts de la terre où nous sommes plantées est une chose qui fait frémir, et surtout quand je serai près de notre Océan, pouvant aller aux Indes comme vousen Afrique. Je vousassure quemoncœur ne regarde point cet éloignement avec tranquillité. Si vous saviez le trouble que me donne le moindre retardement de vos lettres, vous jugeriez bien aisément de ce que je souffrirai dans mon chien de voyage. Je n’ai point revu nos Grignans ; ils sont à St.- Germain, le chevalier à son régiment. On m’a voulu mener voir M, ne la Dauphine : en vérité, je ne suis pas si pressée. M. de Coulanges l’a vue : le premier coup d’œil est à redouter, comme dit Sanguin ; mais il y a tant d’esprit, de mérite, de bonté, de manières charmantes, qu’il faut l’admirer : s il faut honorer Cybèle, il faut encore plus l’aimer[1].

  1. Voyez la scène viii du Ier acte de l’opéra d’Atys.