Page:Sévigné - Lettres choisies, Didot, 1846.djvu/483

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que, ni les plaisirs ; j’ai beau frapper du pied, rien ne sort qu’une vie triste et unie[1], tantôt à ce triste faubourg, tantôt avec les sages veuves. M. de Grignan m’est bien nécessaire, car j’ai un coin de folie qui n’est pas encore bien mort.

Je vous ai parlé de la princesse de Tarente, comme si j’avais reçu votre lettre : je vous ai conté le mariage de sa fille : écrivez-lui, elle en sera fort aise, vous lui devez cette honnêteté ; elle s’est toujours piquée de vous estimer et de vous admirer : elle vient à Vitré, elle me fera sortir de ma simplicité, pour me faire entrer dans son amplification ; je n’ai jamais vu un si plaisant style. Elle amusa le roi l’autre jour dans une promenade, en lui contant tout ce que je vous conterai quand je serai aux Rochers ; voilà les nouvelles que vous recevrez de moi : mais aussi vous pourrez vous vanter qu’il ne se passera rien en Allemagne, ni en Danemark, dont vous ne soyez parfaitement instruite.

Montgobert m’a mandé des merveilles de Pauline, faites-m’en parler ; c’est une petite fille charmante, c’est la joie de toute votre maison. Mademoiselle du Plessis ne m’en fera point souvenir ; ne vous ai-je pas dit qu’elle est affligée de la mort de sa mère ? mais j’ai de bons livres et de bonnes pensées. Ne craignez point que j’écrive trop ; je vous ai donné l’idée de la délicatesse de ma poitrine. Je vous recommande la vôtre ; faites-moi écrire, si vous aimez ma vie ; profitez du temps et du repos que vous avez ; amusez-vous à vous guérir tout à fait ; mais il faut que vous le vouliez, et c’est une étrange pièce que notre volonté. Celle de vos musiciens était bonne à ténèbres, mais vous les décriez, tantôt des musiciens sans musique, et puis mie musique sans musiciens.-j’admire la bonté de M. le comte, de souffrir que vous en parliez si librement.

Je viens de recevoir une grande visite de votre intendant ; sa serrure était bien brouillée[2], mais je n’ai pas laissé d’attraper qu’il vous honore fort : il m’a loué votre magnificence ; il dit que vous êtes toujours belle, mais triste et si abattue, qu’il est aisé de voir que vous vous contraignez. Il est charmé de M. de Berbisi,

  1. Allusion à un passage de la Vie de Pompée, dans Plutarque. « Toutes et quantes fois, dit-il, que je frapperai du pied seulement la terre d’Italie, je feray sourdre de toutes parts gens de guerre à pied et à cheval. » (Traduction d’Amyot.)
  2. Façon de parler familière à madame de Sévigné et à madame de Grignan, pour exprimer l’embarras que certaines gens mettent dans leurs discours.