Page:Sévigné - Lettres choisies, Didot, 1846.djvu/501

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son : il ne m’en faut pas davantage. Quand je suis dans mon cabinet, c’est une si bonne compagnie que je dis en moi-même : Ce petit endroit serait digne de ma fille ; elle ne mettrait pas la main sur un livre qu’elle n’en fût contente : on ne sait auquel entendre. J’ai pris les Conversations chrétiennes ; elles sont d’un bon cartésien qui sait par cœur votre recherche de la vérité[1], qui parle de cette philosophie, et du souverain pouvoir que Dieu a sur nous ; de sorte que nous vivons, nous nous mouvons et nous respirons en lui, comme dit saint Paul, et c’est par lui que nous connaissons tout. Je vous manderai si ce livre est à la portée de mon intelligence ; s’il n’y est pas, je le quitterai humblement, renonçant à la sotte vanité de contrefaire l’éclairée quand je ne le suis pas. Je vous assure que je pense comme nos frères ; et si j’imprimais, je dirais : Je pense comme eux. Je sais la différence du langage politique à celui des chambres : enfin Dieu est tout-puissant, et fait tout ce qu’il veut, j’entends cela ; il veut notre cœur, nous ne voulons pas le lui donner, voilà tout le mystère. N’allez pas révéler celui de nos filles de Nantes ; elles me mandent qu’elles sont charmées de ce livre[2] que je leur ai fait prêter.

Je mandais l’autre jour à madame de Vins que je lui donnais à deviner quelle sorte de vertu je mettais ici le plus souvent en pratique, et je lui disais que c’était la libéralité. Il est vrai que j’ai donné d’assez grosses sommes depuis mon arrivée : un matin, huit cents francs ; l’autre, mille francs ; l’autre, cinq ; un autre jour, trois cents écus : il semble que ce soit pour rire, ce n’est que trop une vérité. Je trouve des métayers et des meuniers qui me doivent toutes ces sommes, et qui n’ont pas un unique sou pour les payer : que fait-on ? il faut bien leur donner. Vous croyez bien que je n’en prétends pas un grand mérite, puisque c’est par force : mais j’étais toute prise de cette pensée en écrivant à madame de Vins, et je lui dis cette folie. Je me venge de ces banqueroutes sur les lods et ventes. Je n’ai pas encore touché ces six mille francs de Nantes : dès qu’il y a quelque affaire à finir, c«la ne va pas si vite. Je vis arriver l’autre jour une belle petite fermière de Bodégat, avec de beaux yeux brillants, une belle taille, une robe de drap de Hollande découpé sur du tabis[3], les manches tailladées : Ah Seigneur !

  1. De Malebranche.
  2. La Fréquente communion.
  3. Sorte de gros taffetas ondé.