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LETTRES CHOISIES Mme DE SÉVIGNÉ


LETTRE PREMIÈRE. DE MADAME DE SÉVIGNÉ AU COMTE DE BUSSY.

A Paris, ce 25 novembre 1655.

Vous faites bien l’entendu, M. le comte ; sous ombre que vous écrivez comme un petit Cicéron, vous croyez qu’il vous est permis de vous moquer des gens : à la vérité, l’endroit que vous avez remarqué m’a fait rire de tout mon cœur ; mais je suis étonnée qu’il n’y eût que cet endroit de ridicule, car, de la manière dont je vous écrivis, c’est un miracle que vous ayez pu comprendre ce que je voulais vous dire ; et je vois bien qu’en effet vous avez de l’esprit, ou que ma lettre est meilleure que je ne pensais : quoi qu’il en soit, je suis bien aise que vous ayez profité de l’avis que je vous donnais.

On m’a dit que vous sollicitiez de demeurer sur la frontière cet hiver : comme vous savez, mon pauvre comte, que je vous aime un peu rustaudement, je voudrais qu’on vous l’accordât, car on dit qu’il n’y a rien qui avance tant les gens, et vous ne doutez pas de la passion que j’ai pour votre fortune : ainsi, quoi qu’il puisse arriver, je serai contente. Si vous demeurez sur la frontière, l’amitié solide y trouvera son compte ; si vous revenez, l’amitié tendre sera satisfaite.

Madame de Roquelaure[1] est revenue tellement belle, qu’elle défit hier le Louvre à plate couture : ce qui donne une si terrible jalousie aux belles qui y sont, que par dépit on a résolu qu’elle ne serait pas des après-soupers, qui sont gais et galants, comme vous savez. Madame de Fiennes voulut l’y faire demeurer hier ; mais on comprit, par la réponse de la reine, qu’elle pouvait s’en retourner.

  1. Charlotte-Marie de Daillon, fille du comte du Lude.