Page:Sévigné - Lettres choisies, Didot, 1846.djvu/516

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dans la chambre du roi, où il n’y avait que M. de Châteauneuf : le roi lui dit que tant que son cœur avait été blessé, il ne l’avait point rappelé ; mais que présentement c’était de bon cœur, et qu’il était aise de le revoir. M. de Vardes répondit parfaitement bien et d’un air pénétré ; et ce don des larmes que Dieu lui adonné ne fit pas mal son effet dans cette occasion. Après cette première vue, le roi fit appeler M. le Dauphin, et le présenta comme un jeune courtisan ; M. de Vardes le reconnut et le salua : le roi lui dit en riant : « Vardes, voilà une sottise, vous savez bien qu’on ne salue personne devant moi. » M. de Vardes du même ton : « Sire, je ne sais plus « rien, j’ai tout oublié ; il faut que Votre Majesté me pardonne jusqu’à trente sottises.— Eh bien ! je le veux, dit le roi ; reste à vingt-neuf. » Ensuite le roi se moqua de son justaucorps. M. de Vardes lui dit : « Sire, quand on est assez misérable pour être éloigné de « vous, non-seulement on est malheureux, mais on est ridicule. » Tout est sur ce ton de liberté et d’agrément. Tous les courtisans lui ont fait des merveilles. Il est venu un jour à Paris, il m’est venu voir ; j’étais sortie pour aller chez lui : il trouva ma fille et mon fils, et je le trouvai le soir chez lui : ce fut une joie véritable ; je lui dis un mot de notre ami Corbinelli. « Quoi, madame ! mon maître ! « mon intime ! l’homme du monde à qui j’ai le plus d’obligation ! « pouvez- vous douter que je ne l’aime de tout mon cœur ?» Cela me plut fort. Il loge chez sa fille, il est à Versailles. La Cour part aujourd’hui, je crois qu’il reviendra pour rattraper leroi à Auxerre : car il paraît à tous ses amis qu’il doit faire le voyage, où assurément il fera bien sa cour, en donnant des louanges fort naturelles à trois petites choses, les troupes, les fortifications et les conquêtes de Sa Majesté. Peut-être que notre ami vous dira tout ceci, et que ma lettre ne sera qu’un misérable écho ; mais à tout hasard je me suis jetée dans ces détails, parce que j’aimerais qu’on me les écrivît en pareille occasion, et je juge de moi par vous, mon cher monsieur ; souvent j’y suis attrapée avec d’autres, mais non jamais avec vous. On dit que M. de Noailles, votre digne et généreux ami, a rendu de très-bons offices à M. de Vardes : il est assez généreux pour n’en pas douter. M. de Calvisson est arrivé, cela doit rompre ou conclure notre mariage. En vérité je suis fatiguée de cette longueur, je ne suis pas en humeur de parler bien, que de M. de Vardes, et toujours M. de Vardes ; c’est l’évangile du jour.