Page:Sévigné - Lettres choisies, Didot, 1846.djvu/519

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qui la sépare pour jamais de notre continent ; elle suit la loi de l’Evangile, elle quitte tout pour suivre Jésus-Christ. Cependant on s’aperçoit dans sa maison qu’elle ne revient point dîner ; on va aux églises voisines, elle n’y est pas ; on croit qu’elle viendra le soir, point de nouvelles ; on commence à s’étonner, on demande à ses gens, ils ne savent rien ; elle a un petit laquais avec elle, elle sera sans doute à Port-Royal des champs, elle n’y est pas ; où pourra-t-elle être ? On court chez le curé de Saint- Jacques du Haut-Pas ; le curé dit qu’il a quitté depuis longtemps le soin de sa conscience, et que, la voyant toute pleine de pensées extraordinaires et de désirs immodérés de la Thébaïde, comme il est homme tout simple et tout vrai, il n’a point voulu se mêler de sa conduite. On ne sait plus à qui avoir recours : un jour, — deux, trois, six jours, on envoie à quelques ports de mer, et par un hasard étrange on la trouve à Rouen, sur le pointde s’en aller à Dieppe, et de là au bout du monde. On la prend, on la ramène bien joliment, elle est un peu embarrassée.

J’allais, j’étais ; l’amour a sur moi tant d’empire. Une confidente déclare ses desseins ; on est affligé dans la famille ; on veut cacher cette folie au mari r qui n’est pas à Paris, et qui aimerait mieux une galanterie qu’une telle équipée. La mère du mari pleure avec madame de Lavardin, qui pâme de rire, et qui dit à ma fille : Me pardonnez- vous d’avoir empêché que votre frère n’ait épousé cette infante f On conte aussi cette tragique histoire à madame de la Fayette, qui me l’a répétée avec plaisir, et qui me prie de vous mander si vous êtes encore bien en colère contre elle ; elle soutient qu’on ne peut jamais se repentir de n’avoir pas épousé une folle. On n’ose en parler à mademoiselle de Grignan, son amie, qui mâchonne quelque chose d’un pèlerinage, et se jette, pour avoir plus tôt fait, dans un profond silence. Que dites-vous de ce petit récit ? vous a-t-il ennuyé ? n’êtes-vous pas content ? Adieu, mon fils ; M. de Schomberg marche en Allemagne avec vingt-cinq mille hommes : c’est pour faire venir plus promptement la signature de l’empereur. La gazette vous dira le reste.


245. — DE Mme DE SÉVIGNÉ À Mme DE GRIGNAN.

À Angers, ce mercredi 20 septembre 1681.

J’arrivai hier à cinq heures au pont de Ce, après avoir vu le matin à Saumur ma nièce de Bussy, et entendu la messe à la bonne