Page:Sévigné - Lettres choisies, Didot, 1846.djvu/525

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avec mon fils, qui est ravi de m’y voir manger une partie de ce qu’il me doit ; cela me fait un sommeil salutaire, et souffrir la perte de tout ce que ses fermiers me doivent, et dont apparemment je n’aurai jamais rien. Je crois, ma chère bonne, que vous entrez dans ces vérités qui finiront, et qui me feront retrouver comme j’ai accoutumé d’être : je n’ai pu m’empêcher de vous dire tout ce détail dans l’intimité et l’amertume de mon cœur, que l’on soulage en causant avec une bonne, dont la tendresse est sans exemple. J’ai quasi envie de ne vous rien dire sur ma santé ; elle est dans la perfection, et j’aime M. de Coulanges plus que ma vie, de vous avoir montré ma lettre ; elle doit vous avoir remise de vos imaginations ; le style qu’on a en lui écrivant ressemble à la joie et à la santé.


248. — DE Mme DE SÉVIGNÉ À Mme DE ORIGNAL.

Aux Rochers, mercredi 29 novembre 1684.

Je vous vois, je vous plains : vous avez envie de m’écrire, vous avez bien des choses à me dire ; mais madame de Lavardin, qui ne s’en soucie point du tout, dîne à dix heures pour ne point vous manquer ; puis madame de Lamoignon, puis M. de Lamoignon : oh ! pour celui-là, il devait vous faire oublier votre écriture et votre écritoire ; enfin, voilà l’heure qui presse ; tout est perdu si je w’ecris point à ma mère ; et vous avez raison, mon enfant, il faut que nécessairement j’en reçoive peu ou prou, comme on dit ; il faut que je voie pied ou aile de ma chère fille ; et nul ordinaire ne se peut passer sans qu’elle me donne cette consolation : c’est ma vie, c’est manger, c’est respirer ; mais ce qu’il faut faire quand vous êtes attrapée comme samedi, c’est ce que vous avez dit : écrivez deux pages, et, sans finir, envoyez-les-moi, et achevez le reste à loisir : j’entendrai fort bien cette manière de précipitation ; et je vous prie même, ma très-chère, de ne point vous suffoquer de faire réponse à mes lettres infinies ; songez que je cause, et que je ne suis point du tout accablée de visites ; j’ai tout le temps qu’il me faut et au delà, et c’est par pitié de vous que je les finis ; car si j’en avais autant de moi, je ne les finirais point : laissez-moi donc discourir tant que je voudrai, et ne vous amusez point à parcourir les articles ; parlez-moi de vous, de vos affaires, de ce que vous dites à ceux que vous aimez ; tout est sûr, rien ne se voit, rien ne retourne, et c’est justement cela qui me touche, et qui fait ma curiosité et mon