Page:Sévigné - Lettres choisies, Didot, 1846.djvu/543

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taine : cette porte leur est fermée, et la mienne aussi ; ils sont indignes de jamais comprendre ces sortes de beautés, et sont condamnés au malheur de les improuver, et d’être improuvés aussi des gens d’esprit. Nous a vous trouvé beaucoup de ces pédants. Mon premier mouvement est toujours de me mettre en colère, et puis de tâcher de les instruire ; mais j’ai trouvé la chose absolument impossible. C’est un bâtiment qu’il faudrait reprendre par le pied ; il y aurait trop d’affaires à le réparer : et enfin, nous trouvions qu’il n’y avait qu’à prier Dieu pour eux ; car nulle puissance humaine n’est capable de les éclairer. C’est le sentiment que j’aurai toujours pour un homme qui condamne le beau feu et les vers de Benserade, dont le roi et toute la cour a fait ses délices, et qui ne connaît pas les charmes des fables de la Fontaine. Je ne m’en dédis point ; il n’y a qu’à prier Dieu pour un tel homme, et qu’à souhaiter de n’avoir point de commerce avec lui. Je vous embrasse, vous et votre aimable fille. Croyez, l’un et l’autre, que je ne cesserai de vous aimer que quand nous ne serons plus du même sang. Ma fille veut que je vous dise bien des amitiés pour elle. Elle est toujours la belle Madelonne.


256. — DE Mme DE SÉVIGNÉ AU PRÉSIDENT DE MOULCEAU.

À Paris, vendredi 13 décembre 1686.

Je vous ai écrit, monsieur, une grande lettre, il y a plus d’un mois, toute pleine d’amitié, de secrets et de confiance. Je ne sais ce qu’elle est devenue, elle se sera égarée, en vous allant chercher peut-être aux états : tant y a que vous ne m’avez point fait de réponse ; mais cela ne m’empêchera pas de vous apprendre une triste et une agréable nouvelle : la mort de M. le Prince, arrivée à Fontainebleau avant-hier mercredi 11 du courant, à sept heures et un quart du soir, et le retour de M. le prince de Conti à la cour, par la bonté de M. le Prince, qui demanda cette grâce au roi un peu avant que de tourner à l’agonie ; et le roi lui accorda dans le moment ; et M. le Prince eut cette consolation en mourant : mais jamais une joie n’a été noyée de tant de larmes. M. le prince de Conti est inconsolable de la perte qu’il a faite ; elle ne pourrait être plus grande, surtout depuis qu’il a passé tout le temps de sa disgrâce à Chantilly, faisant un usage admirable de tout l’esprit et de toute la capacité de M. le Prince, puisant à la source de tout ce qu’il y avait de bon à apprendre sous un si grand maître, dont il était chèrement aimé. M. le Prince avait couru avec une diligence qui lui a coûté la vie,