Page:Sévigné - Lettres choisies, Didot, 1846.djvu/550

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sept jours, d’une fièvre continue, comme un jeune homme, avec des sentiments très-chrétiens, dont j’étais extrêmement touchée ; car Dieu m’a donné un fonds de religion qui m’a fait regarder assez solidement cette dernière action de la vie. La sienne a duré quatre-vingts ans ; il a vécu avec honneur, il est mort chrétiennement : Dieu nous fasse la même grâce ! Ce fut à la fin d’août que je le pleurai amèrement. Je ne l’eusse jamais quitté s’il eût vécu autant que moi. Mais voyant au quinzième ou seizième de septembre que je n’étais que trop libre, je me résolus d’aller à Vichy, pour guérir tout au moins mon imagination sur des manières de convulsions à la main gauche, et des visions de vapeurs qui me faisaient craindre l’apoplexie. Ce voyage proposé donna envie à madame la duchesse de Chaulnes de le faire aussi. Je me joignis à elle ; et comme j’avais quelque envie de revenir à Bourbon, je ne la quittai point. Elle ne voulait que Bourbon ; j’y fis venir des eaux de Vichy, qui, réchauffées dans les puits de Bourbon, sont admirables. J’en ai pris, et puis de celles de Bourbon : ce mélange est fort bon. Ces deux rivales se sont raccommodées ensemble, ce n’est plus qu’un cœur et qu’une âme : Vichy se repose dans le sein de Bourbon, et se chauffe au coin de son feu, c’est-à-dire dans les bouillonnements de ses fontaines. Je m’en suis fort bien trouvée, et quand j’ai proposé la douche, on m’a trouvée en si bonne santé qu’on me l’a refusée ; et l’on s’est moqué de mes craintes ; on les a traitées de visions, et. l’on m’a renvoyée comme une personne en parfaite santé. On m’en a tellement assurée que je l’ai cru, et je me regarde aujourd’hui sur ce pied-là. Ma fille en est ravie, qui m’aime comme vous savez.

Voilà, mon cher cousin, où j’en suis. Votre santé dépendant de la mienne, en voilà une grande provision pour vous. Songez à votre rhume, et, comme cela, faites-moi bien>porter. Il faut que nous allions ensemble, et que nous ne nous quittions point. Il y a trois semaines que je suis revenue de Bourbon ; notre jolie petite abbaye n’était point encore donnée ; nous y avons été douze jours ; enfin on vient de la donner à l’ancien évêque de Nîmes, très-saint prélat. J’en sortis il y a trois jours, tout affligée de dire adieu pour jamais à cette aimable solitude que j’ai tant aimée ; après avoir pleuré l’abbé, j’ai pleuré l’abbaye. Je saisque vous m’avez écrit pendant mon voyage de Bourbon ; je ne me suis point amusée aujourd’hui à vous répondre : je me suis laissée aller à la tentation de parler de moi à bride