Page:Sévigné - Lettres choisies, Didot, 1846.djvu/553

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écrire comme à vous dans cette longue et ennuyeuse lettre. Je dis ennuyeuse, parce que, comme elle ne m’a point divertie en l’écrivant, je crois qu’elle ne vous divertira point en la lisant. Je voudrais bien embrasser le joli petit marquis de Coligny. Ma fille vous fait à tous deux mille sincères amitiés : elle est toujours flattée et reconnaissante de l’estime et de l’amitié que vous avez pour elle. Je comprends bien que si vous étiez jeune, elle aurait la première place dans votre cœur.


262. — DE Mme DE SÉVTGNÉ AU COMTE DE BUSSY.

À Paris, ce 22 septembre 1688.

Il est vrai que j’aime la réputation de notre cousin d’Allemagne. Le marquis de Villars nous en a dit des merveilles à son retour de Vienne, et de sa valeur, et de son mérite de tous les jours, et de sa femme, et du bon air de sa maison. Vous êtes cause, mon cher cousin, que j’écris à cette duchesse-comtesse, en lui envoyant votre paquet. J’admire toujours les jeux et les arrangements de la Providence. Elle veut que ce Rabutin d’Allemagne, notre cadet de toutes façons, par des chemins bizarres et obliques s’élève et soit heureux ; et qu’un comte de Bussy, l’aîné de sa maison, avec beaucoup de valeur, d’esprit et de services, même avec la plus brillante charge de la guerre, soit le plus malheureux homme de la cour de France. Oh bien ! Providence, faites comme vous l’entendrez : vous êtes la maîtresse : vous disposez de tout comme il vous plaît, et vous êtes tellement au-dessus de nous, qu’il faut encore vous adorer, quoi que vous puissiez faire, et baiser la main qui nous frappe et qui nous punit ; car devant elle nous méritons toujours d’être punis. Je suis bien triste, mon cher cousin ; notre chère comtesse deProvence, que vous aimez tant, s’en va dans huit jours ; cette séparation m’arrache l’âme, et fait que je m’en vais en Bretagne : j’y ai beaucoup d’affaires, mais je sens qu’il y a un petit brin de dépit amoureux. Je ne veux plus de Paris sans elle : je suis en colère contre le monde entier ; je m’en vais me jeter dans un désert. Eh bien ! M. et madame, en savez -vous plus que nous sur l’amitié ? Nous donnerions des leçons aux autres : mais, en vérité, il est bien douloureux d’exceller en ce genre : ceux qui sont si sensibles sont bien malheureux. Parlons d’autre chose. Vous savez la mort de votre ancien ami Vivonne ? Il est mort eu un moment, dans un profond sommeil, la tête embarrassée. Le roi va le 28 de ce mois