Page:Sévigné - Lettres choisies, Didot, 1846.djvu/584

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voyé à Excester, où il avait dessein d’aller : il était fort bien gardé par le devant de sa maison, tandis que toutes les portes de derrière étaient libres et ouvertes. Le prince n’a point songé à faire périr son beau-père ; il est dans Londres à la place du roi, sans en prendre le nom, ne voulant que rétablir une religion qu’il croit bonne, et maintenir les lois du pays, sans qu’il en coûte une goutte de sang : voilà l’envers tout juste de ce que nous pensons de lui ; ce sont des points de vue bien différents. Cependant le roi fait pour ces Majestés anglaises des choses toutes divines ; car n’est-ce point être l’image du Tout-Puissant, que de soutenir un roi chassé, trahi, abandonné comme il l’est ? La belle âme du roi se plaît à jouer ce grand rôle. Il fut au-devant de la reine avec toute sa maison et cent carrosses à six chevaux. Quand il aperçut le carrosse du prince de Galles, il descendit, et l’embrassa tendrement ; puis il courut au-devant de la reine, qui était descendue ; il la salua, lui parla quelque temps, la mit à sa droite dans son carrosse, lui présenta Monseigneur et Monsieur qui furent aussi dans le carrosse, et la mena à Saint-Germain, où elle se trouva toute servie comme la reine, de toutes sortes de bardes, parmi lesquelles était une cassette très-riche, avec six mille louis d’or. Le lendemain le roi d’Angleterre devait arriver, le roi l’attendait à Saint-Germain, où il arriva tard, parce qu’il venait de Versailles ; enfin, le roi alla au bout de la salle des gardes, au-devant de lui : le roi d’Angleterre se baissa fort, comme s’il eût voulu embrasser ses genoux[1] ; le roi l’en empêcha, et l’embrassa à trois ou quatre reprises fort cordialement. Ils se parlèrent bas un quart d’heure ; le roi lui présenta Monseigneur, Monsieur, les princes du sang, et le cardinal de Bonzi : il le conduisit à l’appartement de la reine, qui eut peine à retenir ses larmes. Après une conversation de quelques instants, Sa Majesté les mena chez le prince de Galles, où ils furent encore quelque temps à causer, et les y laissa, ne voulant point être reconduit, et disant au roi : « Voici votre maison ; quand j’y viendrai, vous m’en ferez les honneurs, et je vous les ferai quand vous viendrez à Versailles. » Le lendemain, qui était hier, madame la Dauphine y alla, et toute la cour. Je ne sais comme on aura réglé les chaises des princesses, car elles en eurent à la reine d’Espagne ; et la reine mère d’Angleterre était traitée comme fille de France : je vous manderai ce détail. Le roi envoya dix mille louis d’or au roi d’Angleterre :

  1. Voy. les Mémoires de Dangeau, t. I, p. 264.