Page:Sévigné - Lettres choisies, Didot, 1846.djvu/607

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a peu d’exemple d’un pareil malheur : sa santé est tellement déplorée depuis quelque temps, qu’il n’y a ni maux passés, ni régime, ni saison, sur quoi il puisse compter. Je sens cet état, et par rapport à lui, et par rapport à votre fils, qui y perd tout ce qu’on y peut perdre ; tout cela se voit d’un coup d’œil, le détail importunerait sa modestie : je suis remplie de ces vérités, et je regarde toujours Dieu qui redonne à ce marquis un M. de Montégut, la sagesse même ; et tous les autres de ce régiment, qui, pour plaire à M. le chevalier, font des merveilles à ce petit capitaine. N’est-ce pas une espèce de consolation qui ne se trouve point dans d’autres régiments moins attachés à leur colonel ? Ce marquis m’a écrit une si bonne lettre, que j’en eus le cœur sensiblement touché : il ne cesse de se louer de ce M. de Montégut ; il badine et me fait compliment sur la belle pièce que j’ai faite sur M. d’Arles : vous êtes bien plaisante de la lui avoir envoyée. Il dit qu’il a renoncé à la poésie, qu’à peine ils ont le temps de respirer ; toujours en l’air, jamais deux jours en repos : ils ont affaire à un homme[1] bien vigilant. Mandez-moi bien des nouvelles de M. le chevalier ; j’espère au changement de climat, à la vertu des eaux, et plus encore à la douceur consolante d’être avec vous et avec sa famille. Je le crois un fleuve bienfaisant, avec plus de justice que vous ne le croyez de moi : il me semble qu’il donnera un bon tour, un bon ordre à toute chose. Il est vrai que le comtat d’Avignon est une Providence qu’il n’était pas aisé de deviner : mais détournons nos tristes pensées, vous n’en êtes que trop remplie, sans en recevoir encore le contre-coup dans mes lettres. Il faut conserver la santé, dont la ruine serait encore un plus grand mal ; la mienne est toujours toute parfaite. Cette purgation des capucins, où il n’y a point de séné, me paraît comme un verre de limonade, et c’en est en effet : je la pris, pour n’y plus penser, parce qu’il y avait longtemps que je n’avais été purgée ; je ne m’en sentis pas. Vous faites trop d’honneur à ce remède ; mon fils n’en sort pas moins le matin ; c’est un remède pour ôter le superflu, bien superflu, qui ne va point chercher midi à quatorze heures, ni réveiller tous les chats qui dorment. Nous faisons une vie si réglée, qu’il n’est guère possible de se mal porter. On se lève à huit heures ; très-souvent je vais, jusqu’à neuf heures que la messe sonne, prendre la fraîcheur de ces bois : après la messe, on s’habille, on se dit bonjour, on retourne

  1. Louis-François, marquis, puis duc de Boufflers, pair et maréchal de France.