Page:Sévigné - Lettres choisies, Didot, 1846.djvu/620

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chez moi de quelqu’un qui n’en a que faire, qui me les prête sans intérêt, qui ne me pressera point de les rendre ; et que je parte tout à l’heure. Cette lettre est longue[1] au sortir d’un accès de fièvre ; j’y réponds aussi avec reconnaissance, mais en badinant, l’assurant que je ne m’ennuierai que médiocrement avec mon fils, sa femme, des livres, et l’espérance de me mettre en état de retourner cet été à Paris, sans être logée hors de chez moi, sans avoir besoin d’équipage, parce que j’en aurai un, et sans devoir mille écus à un généreux ami, dont la belle âme et le beau procédé me presseraient plus que tous les sergents du monde ; qu’au reste je lui donne ma parole de n’être point malade, de ne point vieillir, de ne point radoter, et qu’elle m’aimera toujours, malgré sa menace : voilà comme j’ai répondu à ces trois bonnes amies. Je vous montrerai quelque jour cette lettre de madame de la Fayette. Mon Dieu, la belle proposition de n’être plus chez moi, d’être dépendante, de n’avoir point d’équipage, et de devoir mille écus ! En vérité, ma chère enfant, j’aime bien mieux sans comparaison être ici : l’horreur de l’hiver à la campagne n’est que de loin ; de près ce n’est pas de même. Mandez-moi si vous ne m’approuvez point : si vous étiez à Paris, ah ! ce serait une raison étranglante ; mais vous n’y êtes point. J’ai pris mon temps et mes mesures là-dessus ; et si, par miracle, vous y voliez présentement comme un oiseau, je ne sais si ma raison ne prierait point la vôtre, avec la permission de notre amitié, de me laisser achever cet hiver certains petits payements qui feront le repos de ma vie. Je n’ai pu m’empêcher de vous conter cette bagatelle, espérant qu’elle n’arrivera point mal à propos, et que M. le chevalier se portera aussi bien que je le souhaite.

J’ai été surprise de votre songe : vous le croyez un mensonge, parce que vous avez vu qu’il n’y avait pas un seul arbre devant cette porte ; cela vous fait rire, il n’y a rien de si vrai ; mon fils les fit tous, je dis tous, couper il y a deux ans ; il se pique de belle vue, tout comme vous l’avez songé, et à tel point qu’il veut faire un mur d’appui dans son parterre, et mettre le jeu de paume en boulingrin, ne laisser que le chemin, et faire encore là un fossé et un petit mur. Il est vrai que si cela s’exécute, ce sera une très-agréable chose, et qui fera une beauté surprenante dans ce parterre, qui est tout fait sur le dessin de M. le Nostre, et tout plein d’orangers dans cette

  1. Les lettres de madame de la Fayette étaient toujours fort courtes.