Page:Sévigné - Lettres choisies, Didot, 1846.djvu/634

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que vous le faites bien languir : sa lettre est du 2 ; je le croyais à Paris ; faites-l’y donc venir, et qu’après une petite apparition, il coure vous embrasser. Ce petit homme me paraît en état que, si vous trouviez un bon parti, Sa Majesté lui accorderait aisément la survivance de votre très-belle charge. Vous trouvez que son caractère et celui de Pauline ne se ressemblent nullement ; il faut pourtant que certaines qualités du cœur soient chez l’un et chez l’autre ; pour l’humeur, c’est une autre affaire. Je suis ravie que ses sentiments soient à votre fantaisie : je lui souhaiterais un peu plus de penchant pour les sciences, pour la lecture ; cela peut venir. Pour Pauline, cette dévoreuse de livres, j’aime mieux qu’elle en avale de mauvais que de ne point aimer à lire ; les romans, les comédies, les Voiture, les Sarrasin, tout cela est bientôt épuisé : a-t-elle taté de Lucien ? est-elle à portée des petites Lettres ? ensuite il faut l’histoire ; si on a besoin de lui pincer le nez pour lui faire avaler, je la plains. Quant aux beaux livres de dévotion, si elle ne les aime point, tant pis pour elle ; car nous ne savons que trop que, même sans dévotion, on les trouve charmants. À l’égard de la morale, comme eile n’en ferait pas un si bon usage que vous, je ne voudrais point du tout qu’elle mît son petit nez ni dans Montaigne, ni dans Charron, ni dans les autres de cette sorte : il est bien matin pour elle. La vraie morale de son âge, c’est celle qu’on apprend dans les bonnes conversations, dans les fables, dans les histoires, par les exemples ; je crois que c’est assez. Si vous lui donnez un peu de votre temps pour causer avec elle, c’est assurément ce qui serait le plus utile : je ne sais si tout ce que je dis vaut la peine que vous le lisiez ; je suis bien loin d’abonder dans mon sens.

Vous me demandez si je suis toujours une petite dévote qui ne vaut guère ; oui, justement, voilà ce que je suis toujours, et pas davantage, à mon grand regret. Tout ce que j’ai de bon, c’est que je sais bien ma religion, et de quoi il est question ; je ne prendrai point le faux pour le vrai ; je sais ce qui est bon et ce qui n’en a que l’apparence ; j’espère ne m’y point méprendre, et que Dieu m’ ayant déjà donné de bons sentiments, il m’en donnera encore : les grâces passées me garantissent en quelque sorte celles qui viendront ; ainsi je vis dans la confiance, mêlée pourtant de beaucoup de crainte. 3M ais je vous gronde de trouver notre Corbinelli le mystique du diable ; votre frère en pâme de rire ; je le gronde comme vous. Comment, mystique du diable ! un homme qui ne songe qu’à détruire son empire ;