Page:Sévigné - Lettres choisies, Didot, 1846.djvu/640

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mais n’oubliez pas qu’il a été aussi bon pour la colique que pour la lièvre ; il faut donc se remettre. Nous n’irons à Aix qu’un moment pour voir la petite religieuse de Grignan[1], et dans peu de jours nous serons pour tout l’hiver à Grignan, où le petit colonel (le marquis de Grignan), qui a son régiment à Valence et aux environs, viendra passer six semaines avec nous. Hélas ! tout ce temps ne passera que trop vite ; je commence à soupirer douloureusement de le voir courir avec tant de rapidité, j’en vois et j’en sens les conséquences. Vous n’en êtes pas encore, mon jeune cousin, à de si tristes réflexions.

J’ai voulu vous écrire sur la mort de M. de Seignelai : quelle mort ! quelle perte pour sa famille et pour ses amis ! On me mande que sa femme est inconsolable, et qu’on parle de vendre Sceaux à M. le duc du Maine. Oh ! mon Dieu, que de choses à dire sur un si grand sujet ! Mais que dites-vous de sa dépouille sur un homme que l’on croyait déjà tout établi[2] ? Autre sujet de conversation ; mais il ne faut faire à présent que la table des chapitres pour quand nous nous verrons. M. le duc de Chaulnes nous a écrit de fort aimables lettres, et nous donne une espérance assez proche de le voir bientôt à Grignan ; mais auparavant il me paraît qu’il ne serait pas impossible d’envoyer enfin ces bulles si longtemps attendues, et trop tôt chantées ; qui n’eût pas cru que l’abbé de Polignac les apportait ? Je n’ai jamais vu un enfant si difficile à baptiser ; mais enfin vous en aurez l’honneur, vous le méritez bien après tant de peines ; venez donc recevoir nos louanges. Je n’ose presque vous parler de votre déménagement de la rue du Parc-Royal pour aller demeurer au Temple ; j’en suis affligée pour vous et pour moi ; je hais le Temple autant que j’aime la déesse {madame de Coulanges) qui veut présentement y être honorée ; je hais ce quartier qui ne mène qu’à Montfaucon ; j’en hais même jusques à la belle vue dont madame de Coulanges me parle ; je hais cette fausse campagne, qui fait qu’on n’est plus sensible aux beautés de la véritable, et qu’elle sera plus à couvert des rigueurs du froid à Brévannes[3], qu’à la ruelle de son lit dans ce chien de Temple ; enfin tout cela me déplaît à mourir, et ce qui est beau, c’est que je lui mande toutes ces im

  1. Marie-Blanche d’Adhémar, religieuse aux Filles de Sainte-Marie.
  2. M. de Pontchartrain, alors contrôleur des finances, et depuis chancelier de France en 1699.
  3. Maison de campagne de madame de Coulanges.