Page:Sévigné - Lettres choisies, Didot, 1846.djvu/643

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À propos de mère et de fils, savez-vous, mon cher cousin, que je suis depuis dix ou douze jours dans une tristesse dont vous êtes seul capable de me tirer, pendant que je vous écris ? C’est de la maladie extrême de madame de Lavardin la douairière, mon intime et mon ancienne amie ; cette femme d’un si bon et si solide esprit, cette illustre veuve, qui nous avait toutes rassemblées sous son aile ; cette personne, d’un si grand mérite, est tombée tout d’un coup dans une espèce d’apoplexie ; elle est assoupie, elle est paralytique, elle a une grosse fièvre ; quand on la réveille, elle parle de bon sens, mais elle retombe ; enfin, mon enfant, je ne pouvais faire dans l’amitié une plus grande perte ; je la sens très-vivement. Madame la duchesse de Chaulnes m’en apprend des nouvelles, et en est très-affligée ; madame de la Fayette encore plus ; enfin, c’est un mérite reconnu, où tout le monde s’intéresse comme à une perte publique : jugez ce que ce doit être pour toutes ses amies. On m’assure que M. de Lavardin en est fort touché ; je le souhaite, c’est son éloge que de regretter bien tendrement une mère à qui il doit, en quelque sorte, tout ce qu’il est. Adieu, mon cher cousin, je n’en puis plus ; j’ai le cœur serré : si j’avais commencé par ce triste sujet, je n’aurais pas eu le courage de vous entretenir.

Je ne parle plus du Temple, j’ai dit mon avis ; mais je ne l’aimerai ni ne l’approuverai jamais. Je ne suis pas de même pour vous ; car je vous aime, et vous aimerai, et vous approuverai toujours.


308. — DE Mme DE SÉVIGNÉ À M. LE DUC DE CHAULNES.

A Grignan, le 15 mai 1691.

Mais, mon Dieu, quel homme vous êtes, mon cher gouverneur ! on ne pourra plus vivre avec vous ; vous êtes d’une difficulté pour ïe pas, qui nous jettera dans de furieux embarras. Quelle peine ne donnâtes-vous point l’autre jour à ce pauvre ambassadeur d’Espagne ? Pensez- vous que ce soit une chose bien agréable de reculer tout le long d’une rue ? Et quelle tracasserie faites-vous encore à celui de l’empereur sur les franchises ? Ce pauvre sbirre si bien épousseté en est une belle marque[1] ; enfin, vous êtes devenu tellement pointilleux, que toute l’Europe songera à deux fois comme elle se devra conduire avec Votre Excellence. Si vous nous apportez cette humeur, nous ne vous reconnaîtrons plus. Parlons main-

  1. Voir le journal manuscrit de Dangeau, 31 juillet 1891. M. de Chaulnes était ambassadeur à Rome.