Page:Sévigné - Lettres choisies, Didot, 1846.djvu/72

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conseil en honneur, et quelle serait déshonorée si Chamillart, Pussort et lui allaient le même train. Cela me fâche à cause de vous : voilà une grande rigueur. Tantœne animis cœlestibus iræ [1] !

Mais non, ce n’est point de si haut que cela vient. De telles vengeances rudes et basses nesauraient partir d’un cœur comme celui de notre maître. On se sert de son nom, et on le profane, comme vous voyez. Je vous manderai la suite : il y aurait bien à causer sur tout cela ; mais il est impossible par lettres. Adieu, mon pauvre monsieur ; je ne suis pas si modeste que vous, et, sans me sauver dans la foule, je vous assure que je vous aime et vous estime très-fort. J’ai vu aujourd’hui la comète ; sa queue est d’une belle longueur. J’y mets une partie de mes espérances. Mille compliments à votre chère femme,


12. — DE Mme DE SÉVIGNÉ À M. DE POMPONNE.

Jeudi au soir, janvier 1665.

Enfin, la mère, la belle-fille et le frère ont obtenu d’être ensemble ; ils s’en vont à Montluçon, au fond de l’Auvergne. La mère avait permission d’aller au Parc-aux-Dames avec sa fille ; mais sa belle-fille l’entraîne. Pour M. et madame de Charost, ils sont partis pour Ancenis ; Pecquet et Lavalée sont encore à la Bastille. Y at-il rien au monde de si horrible que cette injustice ? On a donné un autre valet de chambre au malheureux. M. d’Artagnan est sa seule consolation dans le voyage. On dit que celui qui le gardera à Pignerol est un fort honnête homme. Dieu le veuille ! ou, pour mieux dire, Dieu le garde ! Il l’a protégé si visiblement, qu’il faut croire qu’il en a un soin tout particulier. La Forêt, son défunt écuyer, l’aborda comme il s’en allait ; il lui dit : Je suis ravi de vous voir, je sais votre fidélité et votre affection : dites à nos femmes qu’elles ne s’abattent point, que j’ai du courage de reste, et que je me porte bien. En vérité, cela est admirable. Adieu, mon cher monsieur ; soyons comme lui, et ayons du courage, ne nous accoutumons point à la joie que nous donna l’admirable arrêt de samedi.

Madame de Grignan[2] est morte.

Vendredi au soir.

Il me semble, par vos beaux remercîments, que vous me donniez mon congé ; mais je ne le prends pas encore. Je prétends vous écrire

  1. Virgile, Énéid., liv. i.
  2. Angélique-Claire d’Angennes, première femme de M. de Grignan.