Page:Sévigné - Lettres choisies, Didot, 1846.djvu/91

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serait convaincue : elles ont ce caractère de vérité qui se maintient toujours, qui se fait voir avec autorité, pendant que la fausseté et la menterie demeurent accablées sous les paroles, sans pouvoir persuader ; plus leurs sentiments s’efforcent de paraître, plus ils sont enveloppés. Les vôtres sont vrais et le paraissent ; vos paroles ne servent, tout au plus, qu’à vous expliquer ; et, dans cette noble simplicité, elles ont une force à quoi l’on ne peut résister. Voilà, ma fille, comme vos lettres m’ont paru ; jugez quel effet elles me font, et quelle sorte de larmes je répands, en me trouvant persuadée de la vérité que je souhaite le plus. Vous pourrez juger par là de ce que m’ont fait les choses qui m’ont donné autrefois des sentiments contraires. Si mes paroles ont la même puissance que les vôtres, il ne faut pas vous en dire davantage : je suis assurée que mes vérités ont fait en vous leur effet ordinaire ; mais je ne veux pas que vous disiez que j’étais un rideau qui vous cachait : tant pis si je vous cachais, vous êtes encore plus aimable quand on a tiré le rideau ; il faut que vous soyez à découvert pour être dans votre perfection : nous l’avons dit mille fois. Pour moi, il me semble que je suis toute nue, qu’on m’a dépouillée de tout ce qui me rendait aimable ; je n’ose plus voir le monde, et, quoi qu’on ait fait pour m’y remettre, j’ai passé tous ces jours-ci comme un loup-garou, ne pouvant faire autrement. Peu de gens sont dignes de comprendre ce que je sens ; j’ai cherché ceux qui sont de ce petit nombre, et j’ai évité les autres. J’ai vu Guitaud et sa femme ; ils vous aiment, mandez-moi un petit mot pour eux. Deux ou trois Grignans me vinrent voir hier matin. J’ai remercié mille fois Adhémar de vous avoir prêté son lit : nous ne voulûmes point examiner s’il n’eût pas été meilleur pour lui de troubler votre repos, que d’en être cause ; nous n’eûmes pas la force de pousser cette folie, et nous fûmes ravis de ce que le lit était bon. Il nous semble que vous êtes à Moulins aujourd’hui ; vous y recevrez une de mes lettres : je nevous ai point écrit à Briare ; c’était ce cruel mercredi qu’il fallait écrire ; c’était le propre jour de votre départ : j’étais si affligée et si accablée, que j’étais même incapable de chercher de la consolation en vous écrivant. Voici donc, ma troisième et ma seconde à Lyon ; ayez soin de me mander si vous les avez reçues : quand on est fort éloigné, on ne se moque plus des lettres qui commencent par j’ai reçu la vôtre, etc. La pensée que vous avez de vous éloigner toujours, et de voir que ce carrosse va toujours en delà, est une