Page:Sévigné - Lettres choisies, Didot, 1846.djvu/99

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éviter ce malheur. Je souhaite que l’eau vous ait été favorable ; en un mot, je vous souhaite tous les biens, et je prie Dieu qu’il vous garantisse de tous les maux.


30. — DE Mme DE SÉVIGNÉ À Mme DE GRIGNAN.

À Paris, vendredi au soir, 27 février 1671.

Le Rhône, ma chère fille, me tient fort au cœur ; je crois que vous êtes arrivée heureusement ; mais j’aimerais bien à le savoir par vous : j’attends cette nouvelle avec une impatience digne de tout le reste. Il nous semble que vous arrivâtes samedi à Arles ; il nous semble que M. de Grignan est venu au-devant de vous au Saint-Esprit ; il nous semble qu’il a été ravi de vous revoir et de vous ravoir ; il nous semble que vous avez fait comme mercredi votre entrée à Aix ; et puis il nous semble que vous êtes bien lasse. Ma chère enfant, reposez-vous, au nom de Dieu ; tenezvous au lit, restaurez-vous ; et contez-moi bien l’état où vous êtes. Savez-vous que votre souvenir fait ici la fortune de ceux que vous en favorisez ? Les autres languissent après. Le petit mot pour ma tante ne se peut payer ; on est encore fort loin de vous oublier. On m’a tantôt dit mille horreurs de cette montagne de Tarare : que je la hais ! Il y a un autre certain chemin où la roue est en l’air, et l’on tient le carrosse par l’impériale ; je ne soutiens pas cette idée ; mais il n’est plus question de tout cela.

Réponse à la lettre de Vienne.

Je la reçois présentement cette aimable lettre ; ne voyez-vous point comme je la reçois, et avec quelle tendresse je la lis ? Je crois que vous ne me demandez pas que je puisse être de sangfroid en cette occasion. Il est vrai que la dignité de beauté où vous avez été élevée n’est pas d’une petite fatigue ; si vous n’étiez point belle, vous vous reposeriez : il faut choisir. Votre paresse me fait peur, ne la croyez pas sur ce choix ; il n’y a rien de si aimable que d’être belle ; c’est un présent de Dieu qu’il faut conserver. Vous savez comme j’aime votre beauté ; mon amour-propre m’y fait prendre intérêt : je vous la recommande pour l’amour de moi. Il me semble qu’on me va trouver bien habile en Provence d’avoir fait un si joli visage, si doux et si régulier. Vous êtes fâchée que votre nez ne soit pas de travers ; et moi, qui suis rangée, j’en suis ravie : je ne comprends pas ce que peuvent faire avec moi mes