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L’ENNEMI DES FEMMES

vous, panna Nadège, que les puissants vous laissent agir pour les sauver, et que les petits vous comprennent pour se sauver eux-mêmes.

Madame Ossokhine souriait à tous pour ne pas paraître trop émue. Des vieilles femmes, qui ne savaient pas trop au juste quel personnage c’était que cette belle dame si honorée par le père Gaskine et les fortes têtes du pays, poussaient vers elle les petits enfants pour qu’elle les bénît. Les paysans avaient pris des branches de sapin vert, et quand Nadège se mit en marche, seule, à cheval, au milieu de la population à pied, ils lui firent comme une escorte triomphale.

On l’accompagna ainsi jusqu’à l’entrée de la ville. Lorsque, par respect pour sa volonté, car elle redoutait l’effet de cette ovation sur des spectateurs plus sceptiques, on la quitta, elle dut laisser embrasser ses deux mains par tout le monde et promettre de revenir.

— Jaroslaw, dit-elle au jeune poète, qui se tenait près d’elle, vous voyez les sillons que je vous livre. Ensemencez-les, jeune laboureur de l’idée. Ah ! mon ami, quelle riche moisson vous pouvez faire !

— J’essayerai, madame.

— Vous me préviendrez pour les fiançailles, n’est-ce pas ? ajouta-t-elle à voix plus basse.

Jaroslaw la regarda avec soumission.

— Fixez-les vous-même, dit-il.

— Non. Vous ne vous mariez pas seulement