ment, et l’occasion s’en présenta plus tôt qu’il n’eût osé l’espérer.
Le P. Glinski vint vers midi chez Oginski, et ne trouva à la maison qu’Anitta. Elle accourut à sa rencontre, le salua affectueusement, lui baisa la main ; puis elle se remit à son métier, et reprit sa broderie interrompue. Le jésuite s’était placé derrière elle et regardait par-dessus son épaule la broderie à moitié faite.
« Un travail symbolique, dit-il avec un fin sourire.
— Comment cela ? demanda Anitta sans changer de position.
— Est-ce que ce ne sera pas une pantoufle ?
— Sans doute.
— Eh bien ! tu te familiarises déjà en imagination avec l’attribut à venir de ta puissance, mon enfant. Que mon cher comte sera heureux sous ce joug charmant !
— Votre cher comte ?… » murmura Anitta.
Et elle se tourna vers le jésuite d’un air résolu :
« … Je ne pense nullement à lui imposer mon joug.
— Ah ! oui, je connais ce jeu mêlé de réserve virginale et de coquetterie féminine ; je le connais mieux que tu ne crois. C’est amusant… pour un temps… puis cela devient ennuyeux et insupportable.
— Si je pouvais arriver à devenir insupportable au comte, répliqua Anitta avec un léger sourire, je me traînerais sur les genoux à Ezenstochau[1].
— Ne plaisante pas.
— C’est très sérieux.
— As-tu toujours ce lieutenant dans la tête ?
— Dans le cœur, Père Glinski, certainement.
— Folie !
— C’est possible ; mais voilà pourquoi je ne serai jamais la comtesse Soltyk. »
Le jésuite se rapprocha encore d’Anitta, lui prit les mains et la regarda affectueusement dans les yeux. Pour lui aussi c’était sérieux. Ce n’était pas un intrigant ; il voulait le bonheur du comte et de la jeune fille ; il les considérait et les aimait tous les deux comme ses enfants.
« Anitta, dit-il, la vie n’est pas un amusement, mais une lutte terrible dans laquelle nous avons des devoirs sacrés à ac-
- ↑ Pèlerinage célèbre en Pologne.