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LA PÊCHEUSE D’AMES.

espèce de sang-froid. Dragomira appartient à cette épouvantable secte qui cherche à apaiser la colère de Dieu par des sacrifices humains. C’est une Pêcheuse d’âmes, une séductrice, séduite toute la première, qui attire les victimes dans le filet, pour les livrer ensuite au couteau de ses prêtres. Elle a entouré Soltyk de pièges, elle a gagné son cœur, elle l’a enivré d’amour et finalement elle s’est hâtée de se marier en secret avec lui. À l’heure qu’il est, ils se sont enfuis ensemble à Moscou, et déjà se proposent de se sauver à l’étranger. C’est ce qu’écrit le comte.

— C’est aussi ce que Dragomira m’a fait savoir, répondit Zésim.

— Et vous y croyez ?

— Jusqu’à présent, je n’avais aucun motif d’en douter. »

Le jésuite secoua la tête.

« Oui, voilà ce qu’on nous a écrit, mais c’est pour nous tromper. S’ils étaient partis pour Moscou et pour l’étranger, ils nous auraient raconté tout autre chose. Ah ! j’ai bien peur, et j’ai de trop bonnes raisons d’avoir peur, que Dragomira n’ait entraîné le comte dans quelque repaire de cette bande d’assassins, et qu’on ne le tue après lui avoir fait souffrir d’horribles supplices. »

Le vieillard se mit à pleurer.

« Je crois que vous voyez les choses trop en noir, dit Zésim pour le consoler.

— Oh ! mon cœur me le dit, s’écria Glinski, il est perdu ! Personne ne peut plus le sauver ! »

Zésim tout ému allait et venait dans la chambre. Il s’arrêta devant Glinski.

« Je dois vous avouer, dit-il, que je désirerais sauver Dragomira, car je l’ai aimée. Si vous voulez me promettre de l’épargner, je pourrai peut-être vous mettre sur la vraie piste.

— Je vous donne ma parole, je vous jure, s’écria Glinski, que je ne ferai rien contre votre volonté. Parlez donc, que savez-vous ?

— Un jour, j’ai accompagné Dragomira à Myschkow. Elle a eu dans l’ancien manoir un entretien avec un prêtre de sa secte. Peut-être existe-t-il dans cet endroit un repaire des Dispensateurs du ciel ; peut-être est-ce là qu’on a conduit Soltyk.

— C’est très possible, dit le jésuite avec émotion ; on a tué Tarajewitsch à Myschkow et Pikturno dans le voisinage.