Page:Sacher-Masoch - Le legs de Caïn, 1874.djvu/109

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prochaine je vous apporte une pelisse de zibeline ou d’hermine blanche, comme vous l’ordonnerez. » Et elle répondait : « Grand roi des Mores, je ne suis pas une fille de tsar, je ne suis qu’une pauvre paysanne, et je me contenterai d’une fourrure de mouton. » Puis moi : « Tu es belle comme une fille de roi, voilà la vérité vraie. Chez nous là-bas, c’est un autre monde, un autre peuple : chaque homme a cent femmes et tout roi en a mille ; mais moi, je ne connais qu’une seule femme dont je voudrais pour toute ma vie ! »

Les autres s’étaient mis en gaieté, ils sautaient et criaient. Pazorek vint bravement arracher Catherine de son banc, et la fit tourner en rond ; mais moi, je les regardais faire sans dire un mot, et ce fut comme une souffrance étrange qui alors pour la première fois me serra le cœur. Le monde revêtit pour moi un autre aspect, tout bizarre. De même qu’il y a des gens qui perdent la vue pendant la nuit, moi je devins pour ainsi dire aveugle en plein jour. Le monde que je voyais n’était pas celui qui nous entoure ; je regardais en quelque sorte en dedans de moi-même, et la nuit je retrouvais mes yeux et voyais des visions étranges dans les champs et les bois. Dans l’air et dans l’eau, au clair de lune, je voyais des choses que personne autre ne voyait, j’entendais ce que personne n’entendait, et ce que j’éprouvais,… bien des années se sont écoulées depuis, et je n’ai pu encore trouver les mots qu’il faudrait pour vous expliquer ce que j’éprouvais alors. Mon cœur se dilatait si étrangement, se serrait tout