Page:Sacy, Féval, Gautier, Thierry - Rapport sur le progrès des Lettres, 1868.djvu/113

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des plantes vénéneuses : ces plantes aux feuillages bizarrement découpés, d’un vert noir ou minéralement glauque, comme si le sulfate de cuivre les teignait, ont une beauté sinistre et formidable. On les sent dangereuses malgré leur charme ; elles ont dans leur attitude hautaine, provocante ou perfide, la conscience d’un pouvoir immense ou d’une séduction irrésistible ; de leurs fleurs férocement bariolées et tigrées, d’un pourpre semblable à du sang figé ou d’un blanc chlorotique, s’exhalent des parfums âcres, pénétrants, vertigineux. Dans leurs calices empoisonnés, la rosée se change en aqua-tofana, et il ne voltige autour d’elles que des cantharides cuirassées d’or vert, ou des mouches d’un bleu d’acier dont la piqûre donne le charbon. L’euphorbe, l’aconit, la jusquiame, la ciguë, la belladone y mêlent leurs froids venins aux ardents poisons des tropiques et de l’Inde. Le mancenillier y montre ses petites pommes mortelles comme celles qui pendaient à l’arbre de science ; l’upa distille son suc laiteux plus corrosif que l’eau-forte. Au-dessus du jardin flotte une vapeur malsaine qui étourdit les oiseaux lorsqu’ils la traversent. Cependant la fille du docteur vit impunément au milieu de ces miasmes méphitiques ; ses poumons aspirent sans danger cet air où tout autre qu’elle et son père boirait une mort certaine. Elle se fait des bouquets de ces fleurs ; elle en pare ses cheveux ; elle en parfume son sein ; elle en mordille les pétales comme les jeunes filles font des roses. Saturée lentement de sucs vénéneux, elle est devenue elle-même un poison vivant qui neutralise tous les toxiques. Sa beauté, comme celle des plantes de son jardin, a quelque chose d’inquiétant, de fatal et de morbide ; ses cheveux d’un noir bleu tranchent sinistrement sur sa peau d’une pâleur mate et verdâtre où éclate sa bouche qu’on croirait empourprée à quelque baie sanglante. Un sourire fou découvre ses dents enchâssées dans des gencives d’un rouge sombre, et ses yeux fascinent comme ceux des serpents. On dirait une de ces Javanaises, vampires d’amour, succubes diurnes, dont la passion tarit en quinze jours le sang, la moelle et l’âme d’un Européen. Elle est vierge