Page:Sacy, Féval, Gautier, Thierry - Rapport sur le progrès des Lettres, 1868.djvu/117

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et cette fidélité à la poésie que la cité nouvelle semble vouloir bannir de son sein comme le faisait la république de Platon, sans toutefois la renvoyer couronnée de fleurs. Les esprits qu’on est convenu d’appeler pratiques peuvent mépriser ces rêveurs qui suivent la Muse dans les bois, cherchent tout un jour la quatrième rime d’un sonnet, le vers final d’un terzine, et rentrent contents le soir de quelques lignes dix fois raturées sur la page de leur calepin. Ils n’auront pas connu leur pur enchantement : contempler la nature, aspirer à l’idéal, en sculpter la beauté dans cette forme dure et difficile à travailler du vers, qui est comme le marbre de la pensée, n’est-ce pas là un noble et digne emploi de ce temps qu’on regarde aujourd’hui comme de la monnaie ?

Puisque nous venons de prononcer ces mots "jeunes poètes, " ouvrons un livre qu’ils ont édité eux-mêmes sous ce titre : le Parnasse contemporain, et qui est comme une anthologie où chaque talent a mis sa fleur. Dans ce bouquet printanier, quelques roses d’antan ont été admises, puisque nous y figurons en compagnie d’Émile et d’Antoni Deschamps ; mais ce n’est là qu’une marque de bon souvenir de jeunes débutants aux jeux du cirque pour de vieux athlètes, qui feraient peut-être bien de déposer leur ceste comme Entelle. Le ton du livre est tout à fait moderne et représente assez justement l’état actuel de la poésie. Leconte de Lisle, qui est comme le soleil central de ce système poétique et autour duquel gravitent des astres implanés assez nombreux, sans compter les comètes vagabondes un instant influencées et bientôt reprenant leur ellipse immense à travers le bleu sombre, se présente avec cinq ou six pièces qui caractérisent bien les notes diverses de son talent. Le Rêve du jaguar est un de ces tableaux de nature tropicale qu’il peint de si vigoureuses couleurs ; la Verandah, sorte de sixtine dont certaines rimes reviennent comme des refrains, a le charme d’une incantation ; Ekhidna respire un hellénisme archaïque et farouche ; Ekhidna, cette fille monstrueuse et superbe de Kallirhoé et de Khrysaor, montre à l’entrée de sa grotte, pour attirer les