Page:Sacy, Féval, Gautier, Thierry - Rapport sur le progrès des Lettres, 1868.djvu/123

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tient une place importante dans la littérature poétique, il est capable de labeur et d’inspiration.

En ce siècle hâtif qu’effrayent les longues besognes à moins que ce ne soient d’interminables romans bâclés au jour le jour, il faut un singulier courage et une patience d’enthousiasme extraordinaire pour traduire en vers, avec une fidélité scrupuleuse qui n’exclue pas l’élégance, tout l’enfer de la Divine Comédie, depuis le premier cercle jusqu’au dernier. Ce courage et cette patience, Ratisbonne les a eus, et tout jeune il s’est joint à ce groupe de Virgile et de Dante pour descendre derrière eux les funèbres spirales. Ce rude travail est le plus excellent exercice que puisse faire un versificateur pour se développer les muscles et devenir un redoutable athlète aux jeux olympiques de la poésie. Le seul danger à craindre, c’est de garder à jamais la hautaine et farouche attitude du maître souverain qu’on a copié, et de rester comme Michel-Ange, après avoir peint le plafond de la Sixtine, les yeux et les bras levés vers le ciel. Mais c’est un danger qu’on aime à courir. Louis Ratisbonne y a pourtant échappé. Ses poésies originales ne sont pas noircies par les fumées de l’enfer dantesque ; elles ont au contraire une grâce, une fraîcheur et parfois même une coquetterie qui ne rappellent en rien le traducteur du vieux gibelin au profil morose. Ce sont de charmants vers d’amour dont la simplicité aime de temps à autre à se parer de concetti shakespeariens et, comme la Marguerite de Gœthe, à essayer devant son petit miroir les bijoux laissés sur sa table par Méphistophélès. Mais la muse de M. de Ratisbonne ne se laisse pas tenter, et elle remet bien vite les joyaux séducteurs dans le coffret pour rester la vierge irréprochable qu’elle est, et tracer avec une plume qui semble arrachée à l’aile d’un ange le chaste et naïf répertoire de la Comédie enfantine, un de ces recueils que les mères lisent par-dessus l’épaule des enfants et que les pères emportent dans leur chambre, charmés par les délicatesses d’un art qui se cache. Louis Ratisbonne a été choisi comme exécuteur testamentaire par Alfred de Vigny, ce cygne de la poésie, dont il a publié