Page:Sacy, Féval, Gautier, Thierry - Rapport sur le progrès des Lettres, 1868.djvu/136

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fait paraître des légendes locales dont nous ne pouvons apprécier la poésie que par la traduction juxtaposée. Le mérite du style et de la facture nous échappe nécessairement ; il faudrait pour le goûter être un descendant des Kimris, un gars du Morbihan ou de la Cornouaille aux larges braies et aux longs cheveux.

La France du Midi a pour langue maternelle la langue d’oc, que parlait le roi René, et dans laquelle Richard-Cœur-de-Lion et Fréderick de Hohenstauffen rimaient leurs sirventes. Cette langue, qui ne s’est pas fondue dans le français comme la langue d’oïl et demeure fidèle à son antique origine, a fourni un admirable instrument à un grand poète en pleine activité de génie. Tout le monde a nommé Mistral, même ceux qui ne comprennent pas plus que de l’italien, de l’espagnol ou du portugais, l’idiome particulier qu’il emploie. Chacun a lu Mireio, ce poème plein d’azur et de soleil, où les paysages et les mœurs du Midi sont peints de couleurs si chaudes et si lumineuses, où l’amour s’exprime avec la candeur passionnée d’une idylle de Théocrite, dans un dialecte qui, pour la douceur, l’harmonie, le nombre et la richesse, ne le cède en rien au grec et au latin. Le succès a été plus grand qu’on n’eût osé l’espérer pour un livre écrit en une langue inconnue de la plupart des lecteurs ; mais Frédéric Mistral, qui sait aussi le français, avait accompagné son texte d’une version excellente, et presque tout le charme se conservait comme dans ces Lieder de Henri Heine traduits par lui-même. Calendau est une légende sur l’histoire de Provence, qui, pour la conduite du récit, l’intérêt des épisodes, l’éclat des peintures, le relief et la grandeur des personnages mis en action, l’allure héroïque du style, mérite à juste titre le nom d’épopée.

Comme Tomasso Grossi et Carlo Porta de Milan, l’auteur de cette Vision de Prina, proclamée par Stendhal le plus beau morceau de poésie moderne ; comme Baffo et Buratti de Venise, qui a eu l’honneur de donner le la au Beppo et au Don Juan de lord Byron, Mistral a eu ce malheur d’être un grand poète dans un idiome qui n’est entendu que par un public restreint. Ce malheur, il faut le