Page:Sacy, Féval, Gautier, Thierry - Rapport sur le progrès des Lettres, 1868.djvu/138

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Chez Hugo, les années, qui courbent, affaiblissent et rident le génie des autres maîtres, semblent apporter des forces, des énergies et des beautés nouvelles. Il vieillit comme les lions : son front, coupé de plis augustes, secoue une crinière plus longue, plus épaisse et plus formidablement échevelée. Ses ongles d’airain ont poussé, ses yeux jaunes sont comme des soleils dans des cavernes, et, s’il rugit, les autres animaux se taisent. On peut aussi le comparer au chêne qui domine la forêt ; son énorme tronc rugueux pousse en tous sens, avec des coudes bizarres, des branches grosses comme des arbres ; ses racines profondes boivent la sève au cœur de la terre, sa tête touche presque au ciel. Dans son vaste feuillage, la nuit, brillent les étoiles, le matin, chantent les nids. Il brave le soleil et les frimas, le vent, la pluie et le tonnerre ; les cicatrices même de la foudre ne font qu’ajouter à sa beauté quelque chose de farouche et de superbe.

Dans les Contemplations, la partie qui s’appelle Autrefois est lumineuse comme l’aurore ; celle qui a pour titre Aujourd’hui est colorée comme le soir. Tandis que le bord de l’horizon s’illumine incendié d’or, de topaze et de pourpre, l’ombre froide et violette s’entasse dans les coins ; il se mêle à l’œuvre une plus forte proportion de ténèbres, et, à travers cette obscurité, les rayons éblouissent comme des éclairs. Des noirs plus intenses font valoir les lumières ménagées, et chaque point brillant prend le flamboiement sinistre d’un microcosme cabalistique. L’âme triste du poète cherche les mots sombres, mystérieux et profonds, et elle semble écouter dans l’attitude du Pensiero de Michel-Ange "ce que dit la bouche d’ombre. "

On a beaucoup plaint la France de manquer de poème épique. En effet, la Grèce a l’Iliade et l’Odyssée ; l’Italie antique, l’Énéide ; l’Italie moderne, la Divine Comédie, le Roland furieux, la Jérusalem délivrée ; l’Espagne, le Romancero et l’Araucana ; le Portugal, les Lusiades ; l’Angleterre, le Paradis perdu. À tout cela, nous ne pouvions opposer que la Henriade, un assez maigre régal puisque les poèmes