Page:Sacy, Féval, Gautier, Thierry - Rapport sur le progrès des Lettres, 1868.djvu/72

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les divisions nécessaires. Nous apprécierons d’abord brièvement le caractère général de la poésie au XIXe siècle, et nous signalerons les maîtres dont l’influence reste sensible sur la génération actuelle ; puis, nous parlerons des poètes qui, ayant débuté avant 1848, ont continué à produire, appartenant ainsi au passé par leurs premières œuvres et au présent par les dernières ; et enfin, mais avec plus de développements, car c’est là le sujet même de notre travail, des poètes surgis après la révolution de Février. Nous aurions préféré entrer de plain-pied, in medias res, mais rien ne commence brusquement ; aujourd’hui a sa racine dans hier ; les idées, comme les lettres arabes, sont liées à la précédente et à la suivante.

On peut dater d’André Chénier la poésie moderne. Ses vers, publiés par de La Touche, furent une vraie révélation. On sentit toute l’aridité de la versification descriptive et didactique en usage à cette époque. Un vrai souffle venu de la Grèce traversa les imaginations, l’on respira avec délices ces fleurs au parfum enivrant qui auraient trompé les abeilles de l’Hymette. Il y avait si longtemps que les Muses tenaient à leurs mains des bouquets artificiels plus secs et plus inodores que les plantes des herbiers, où jamais ne tremblait ni une larme humaine ni une perle de rosée ! Ce retour à l’antiquité, éternellement jeune, fit éclore un nouveau printemps. L’alexandrin apprit de l’hexamètre grec la césure mobile, les variétés de coupes, les suspensions, les rejets, toute cette secrète harmonie et ce rythme intérieur si heureusement retrouvés par le chantre du Jeune Malade, du Mendiant et de l’Oarystis. Les fragments, les petites pièces inachevées surtout, semblables à des ébauches de bas-reliefs avec des figures presque terminées et d’autres seulement dégrossies par le ciseau, donnèrent d’excellentes leçons en laissant voir à nu le travail et l’art du poète.

A l’apparition d’André Chénier, toute la fausse poésie se décolora, se fana et tomba en poussière. L’ombre se fit rapidement sur des noms rayonnants naguère et les yeux se tournèrent vers l’aurore