Page:Sacy, Féval, Gautier, Thierry - Rapport sur le progrès des Lettres, 1868.djvu/77

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Dans les Stalactites, cette tendance se prononce encore davantage, et l’auteur s’abandonne tout entier à son ivresse lyrique. Il nage au milieu des splendeurs et des sonorités, et derrière ses stances flamboient comme fond naturel les lueurs roses et bleues des apothéoses ; quelquefois c’est le ciel avec ses blancheurs d’aurore ou ses rougeurs de couchant ; quelquefois aussi la gloire en feux de bengale d’une fin d’opéra. Banville a le sentiment de la beauté des mots ; il les aime riches, brillants et rares, et il les place sertis d’or autour de son idée comme un bracelet de pierreries autour d’un bras de femme ; c’est là un des charmes et peut-être le plus grand de ses vers. On peut leur appliquer ces remarques si fines de Joubert : "Les mots s’illuminent quand le doigt du poète y fait passer son phosphore ; les mots des poètes conservent du sens même lorsqu’ils sont détachés des autres, et plaisent isolés comme de beaux sons ; on dirait des paroles lumineuses, de l’or, des perles, des diamants et des fleurs."

La nouvelle école avait été fort sobre de mythologie. On disait plus volontiers la brise que le zéphyr ; la mer s’appelait la mer et non pas Neptune. Théodore de Banville comme Gœthe, introduisant la blanche Tyndaride dans le sombre manoir féodal du moyen âge, ramena dans le burg romantique le cortège des anciens dieux, auxquels Laprade avait déjà élevé un petit temple de marbre blanc au milieu d’un de ces bois qu’il sait si bien chanter. Il osa parler de Vénus, d’Apollon et des nymphes ; ces beaux noms le séduisaient et lui plaisaient comme des camées d’agate ou d’onyx. Il comprit d’abord l’antique un peu à la façon de Rubens. La chaste pâleur et les contours tranquilles des marbres ne suffisaient pas à ce coloriste. Ses déesses étalaient dans l’onde ou dans la nuée des chairs de nacre, veinées d’azur, fouettées de rose, inondées de chevelures rutilantes aux tons d’ambre et de topaze et des rondeurs d’une opulence qu’eût évitée l’art grec. Les roses, les lys, l’azur, l’or, la pourpre, l’hyacinthe abondent chez Banville ; il revêt tout ce qu’il touche d’un voile tramé de rayons, et ses idées, comme les princesses de féeries,