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LA MARQUISE DE TELÊME
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n’ose d’abord se charger d’une entreprise aussi importante, elle craint d’échouer : que deviendra-t-elle si après avoir dépensé à Paris le peu qui reste aux deux époux, elle est obligée de revenir sans gain de cause ? Osera-t-elle se remontrer aux yeux d’un mari qu’elle adore, qu’elle se trouve avoir trompé sans qu’il y ait de sa faute et qu’elle verra mourir de chagrin d’avoir pu songer à la prendre pour femme ? Sa délicatesse lui suggère vingt moyens différents de celui qu’on lui propose : elle va vendre le peu qui lui reste, elle l’offre à son mari en faible dédommagement, et elle viendra s’enfermer dans un cloître pour y finir le reste de ses jours. Elle disparaîtra, on ne la reverra plus ; ou si l’on veut, elle travaillera, elle gagnera sa vie et fera passer à son mari tout ce que ses talents pourront lui rapporter… Aucun de ces partis dictés bien moins par la sagesse que par le désespoir, ne plaît à M. de Telême : il déclare à sa femme qu’il faut partir, qu’il faut aller solliciter elle-même son procès, et ajoute d’un ton ferme qu’il faut bien plus, qu’il faut le gagner. Vaincue par des instances si vives, par des prières enfin qui ressemblent trop à des ordres pour que la jeune marquise puisse s’y tromper, elle part avec une femme de chambre nommée Flavie, d’environ

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