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LA MARQUISE DE GANGE

qu’il en a été bien puni. — Mon frère a eu de la peine à arranger cette affaire. Il a dû vous dire que ce n’est que depuis peu de jours qu’il a reçu ses lettres de grâce. — J’imagine que c’est par délicatesse qu’il ne m’en a rien dit. — Comme tout vous porte à l’indulgence ! — C’est qu’elle est le fruit de l’amour. Il était votre ami, Villefranche ? — Oui, nous servions dans le même corps. Je l’aimais assez ; mais ses torts envers vous me désabusent, et j’avoue que je ne les lui pardonne pas. — Où l’existence finit, l’animosité doit se taire. Il est extrêmement pénible de poursuivre la mémoire d’un mort. Dès qu’il n’est plus là pour se défendre, ne trouvez-vous pas qu’il y a de la faiblesse, j’oserais même dire de la cruauté, à détester jusqu’à ses cendres ? La haine est un fardeau si pesant qu’elle s’anéantit tôt ou tard. Déposons-la donc au bord de la tombe ; qu’elle s’enveloppe dans le linceul de celui qui la fit naître. N’est-ce donc point assez que d’avoir haï jusque-là ? Nous devons faire de même à notre dernière heure ; il me semble qu’en ce moment terrible, je pardonnerais même à celui qui m’aurait ôté la vie : je ne voudrais pas que mes mânes errassent imprégnés de fiel autour de mes persécuteurs. Serais-je digne d’être assise aux pieds d’un Dieu de clémence, si j’en avais manqué moi-même ? En prononçant ces mots, un léger frémissement agita les nerfs d’Euphrasie, et elle