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LA MARQUISE DE GANGE

lieues qui restaient à faire ne fatiguassent Euphrasie lui faisait désirer de ne pas aller plus loin ; mais que faire dans un village où nul secours ne se présentait ? Euphrasie assura que ce n’était rien ; et, dès que l’accident de la voiture fut réparé, on se remit en marche.

— Oh ! mon ami, dit en versant quelques larmes involontaires la sensible Euphrasie, pourquoi faut-il qu’un accident nous arrive à la porte de ton château ?… Pardonne à ta faible amie ; mais quelques pressentiments m’alarment malgré moi !… J’aurais presque aimé le malheur avant que de te connaître : il me fait peur quand je le partage avec toi. — Chère épouse, reprit vivement Alphonse, bannis ces craintes frivoles : jamais le malheur ne flétrira tes jours, tant que tu m’auras pour t’en garantir. — Alphonse, s’écria douloureusement la marquise, peut-il donc exister un moment où je puisse cesser de t’avoir ? — Ce serait celui de la fin de mes jours… et ne sommes-nous pas du même âge ? — Oh ! oui, oui, toujours nous vivrons ensemble, et la mort seule nous séparera.

Enfin nos voyageurs arrivent à Gange ; on traverse la ville ; tous les vassaux du marquis sont sous les armes ; les présents d’usage sont offerts. On parvient aux pieds des tours ; la marquise les mesure de l’œil ; elle se trouble : — Ces abords ont quelque chose d’effrayant, mon ami,