Page:Saint-Amant - Œuvres complètes, Livet, 1855, volume 1.djvu/126

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Qui sont le plus souvent bien moins qu’eux inhumains,
Au dessein de sa mort appresterent leurs mains.
Mais luy, qui s’apperceut de leur brutale envie,
Desirant celebrer le terme de sa vie
Comme le cygne fait, lorsque d’un cœur constant
Les bornes de la sienne il predit, en chantant,
Prend ses plus beaux habits, ses temples environne
D’un laurier immortel en guise de couronne ;
Et, se voyant coupé tout chemin de salut,
Pour la derniere fois, recourant à son lut,
Leur dit d’une parole assez haut prononcée
Que certains mouvemens induisoient sa pensée
À prier Apollon qu’il les vint proteger,
Preservant par son soin leur vaisseau de danger ;
Que, pour un tel sujet, il sçavoit un cantique
Qu’il avoit fait luy-mesme en fureur poëtique ;
Et que, si de l’entendre ils prenoient le loisir,
Ils en recevraient tous et profit et plaisir.
Ces traîtres, à ces mots, reprimans l’insolence
Qui pousse leurs esprits à tant de violence,
Remettant à la nuict l’heure de son trespas,
Pour jouir de ce bien, qu’ils ne meritent pas,
Cachent d’un faux semblant un effroyable crime,
Approuvent son dessein, le disent legitime,
Par de grossiers discours l’invitent à chanter,
Et s’imposent silence afin de l’écouter.
Alors, jettant les yeux sur la face de l’onde,
Où l’on voyoit glisser leur maison vagabonde,
Il reclame en son cœur toutes les deïtez
Dont ces gouffres marins sont par tout habitez,
Accorde bien son lut, en ajuste les touches,
L’essaye avec sa voix, dont il émeut les souches,
Puis, montant sur la poupe en superbe appareil,
Donne air à ces propos, tourné vers le soleil.