Page:Saint-Amant - Œuvres complètes, Livet, 1855, volume 1.djvu/337

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ce temps-la. De m’amuser à dire icy par le menu nostre depart, quel vent favorisa nostre route et combien de corsaires turcs nous prismes en chemin, ce n’est pas mon dessein ; je diray seulement qu’après avoir costoyé toute la Galice et tout le Portugal sans avoir rencontré une seule barque de pescheurs, tant l’effroy de nostre armée avoit frappé le cœur des ennemis, nous arrivasmes au cap de Spartel en Affrique, où, ayant demeure deux jours a l’ancre pour nous mettre mieux en estat de passer le destroit de Gibraltar, lequel nous croyions nous devoir estre infailliblement disputé par la flotte d’Espagne, nous quittasmes cette plage deserte, espouventable et solitaire, où l’on ne voit que des lyons, des aigles et des serpens, et mismes à la voile au meilleur ordre du monde environ deux ou trois heures devant soleil levé.

C’est ce qu’il faut sçavoir pour un plus grand esclaircissement de ces vers, que je commençay la mesme nuict dans l’admiral, ayant eu l’honneur d’estre appellé a ce voyage par lettres expresses et obligeantes de ce genereux prince, qui peut tout sur moy, et à qui j’ay voue tous mes soins et tous mes services. Or, estant donc saisi de la verve, sur le poinct que, suivant mon conseil, nous avions fait apporter le jambon et la bouteille, et nous fortifiions le cœur pour nous preparer à jouer des cousteaux, et l’ardeur du bon Phebus eschauffant mon ame avant que ses rayons eussent eclaire mes yeux, je m’y laissay aller brusquement a l’aspect des estoiles qui nous regardaient boire, et fis, le verre et non la plume à la main, les premiers couplets de cette piece. Jamais il ne fut une telle joye que la nostre, dans le ferme espoir que nous avions de trouver et de vaincre l’ennemy ; jamais on ne vit rien de si beau que ce que nous vismes quand la clarté de l’aurore, dissipant les tenebres, nous vint à descouvrir tout d’un coup le superbe et furieux appareil de nostre flotte ; et il faut advouer que qui n’a veu la pompe d’une armée navale le jour qu’elle s’attend de donner bataille ne se la sçauroit imaginer parfaitement. Nous avions plus de taffetas au vent que de toile ; nous estions nous-mesmes tous estonnez de voir nos vaisseaux si lestes. La splendeur des broderies d’or et d’argent eblouissoit la veue en l’agreable diversité des enseignes. Tout favorisoit nostre passage : un zephire doux et propice nous souffloit en