Page:Saint-Lambert - Les Saisons, 1775.djvu/275

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d’un enfant, elles ne servoient ni à te nourrir, ni à te défendre ; ton ame étoit dans la nuit, tu ne sçavois rien, tu me dois tout. Serois-tu assez ingrat pour te réunir à tes frères, & pour lever la hache contre nous ?

L’Anglois protesta qu’il aimeroit mieux perdre mille fois la vie, que de verser le sang d’un Abénaki.

Le Sauvage mit les deux mains sur son visage en baissant la tête, & après avoir été quelque temps dans cette attitude, il regarda le jeune Anglois, & lui dit d’un ton mêlé de tendresse & de douleur, As-tu un père ? Il vivoit encore, dit le jeune homme, lorsque j’ai quitté ma patrie. Oh, qu’il est malheureux ! s’écria le Sauvage ; & après un moment de silence, il ajouta : Sais-tu que j’ai été père ?… Je ne le suis plus. J’ai vu mon fils tomber dans le combat, il étoit à mon côté, je l’ai vu mourir en homme ; il étoit couvert de blessures, mon fils, quand il est tombé. Mais je l’ai vengé… Oui, je l’ai vengé. Il prononça ces mots avec force. Tout son corps trembloit. Il étoit presque étouffé par des gémissements qu’il ne vouloit pas laisser échapper. Ses yeux étoient égarés, ses larmes ne couloient pas. Il se calma peu à peu, & se tournant vers l’orient où