Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 1.djvu/477

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torts avec plus d’éclat ; à la fin, le roi confisqua ses biens, et témoigna publiquement sa colère.

Le vieux Ruvigny étoit ami d’Harlay, lors procureur général, et depuis premier président, et lui avoit laissé un dépôt entre les mains, dans la confiance de sa fidélité. Il la lui garda tant qu’il n’en put pas abuser ; mais quand il vit l’éclat, il se trouva modestement embarrassé entre le fils de son ami et son maître, à qui il révéla humblement sa peine ; il prétendit que le roi l’avoit su d’ailleurs et que Barbezieux même l’avoit appris, et l’avoit dit au roi. Je n’approfondirai point ce secret, mais le fait est qu’il le dit lui-même, et que, pour récompense, le roi le lui donna comme sien confisqué, et que cet hypocrite de justice, de vertu, de désintéressement et de rigorisme, n’eut pas honte de se l’approprier et de fermer les yeux et les oreilles au bruit qu’excita cette perfidie. Il en tira plus d’un parti ; car le roi, en colère contre Galloway, en sut si bon gré au premier président qu’il donna à son fils fort jeune, et qui se déshonoroit tous les jours dans sa charge d’avocat général, la place de conseiller d’État, vacante par la mort de Pussort, et que quelque temps après, il le combla par une pension de vingt mille livres, qui est celle des ministres. Ainsi les forfaits sont récompensés en ce monde ; mais la satisfaction n’en dure pas longtemps.

M. de Monaco, qui, comme on a vu plus haut, avoit obtenu le rang de prince étranger par le mariage de son fils avec la fille de M. le Grand, trouva bientôt et son fils plus encore, qu’ils l’avoient acheté bien cher. La duchesse de Valentinois étoit charmante, galante à l’avenant, et sans esprit ni conduite, avec une physionomie fort spirituelle ; elle étoit gâtée par l’amitié de son père et de sa mère, et par les hommages de toute la cour dans une maison jour et nuit ouverte, où les grâces, qui étoient sa principale beauté, attiroient la plus brillante jeunesse. Son mari, avec beaucoup d’esprit, ne se sentoit pas le plus fort ; sa taille et sa figure lui avoient